L’UDC est battue, mais pas terrassée
«Juges étrangers»
Le peuple suisse inflige une lourde défaite au plus grand parti de Suisse, mais celui-ci continuera à peser sur la politique étrangère lorsque les enjeux deviendront plus concrets

A l’extérieur, c’est le brouillard: en ce 25 novembre, le stratus plonge Berne dans une déprimante grisaille. Mais à l’intérieur du café Grosse Schanze qui surplombe la gare, c’est le soulagement, et parfois même l’euphorie. La Suisse reste un pays ouvert au monde. Son peuple a plébiscité le multilatéralisme en rejetant massivement (66%) l’initiative dite «d’autodétermination» de l’UDC, qui voulait affirmer la primauté du droit suisse face aux «juges étrangers». En obtenant un score à peine plus élevé que sa part électorale aux élections fédérales de 2015 (29,4%), le plus grand parti de Suisse fait penser à un boxeur sonné dans les cordes. «C’est décevant de prendre un tel coup sur la tronche après s’être battu comme des lions», concède le conseiller national Claudio Zanetti (UDC/ZH).
Lire aussi: L’UDC rejoue David contre Goliath sur l’autodétermination
«La Suisse, une banque centrale de confiance»
Il n’y a donc pas eu de suspense. A 13h30 déjà, le président de l’association faîtière Economiesuisse, Heinz Karrer, tend la main à la présidente des Verts Regula Rytz. «Merci pour la coopération», lui dit-il. Entre ces deux pôles qui sont rarement d’accord, une vaste alliance a vu très tôt le jour, soit avant même le dépôt des signatures à la Chancellerie, pour combattre l’initiative. Les milieux économiques, tous les partis, sauf l’UDC, et la société civile ont uni leurs efforts pour parvenir à un résultat d’une ampleur inattendue.
Lire également: Oscar Mazzoleni: «L’UDC a été prise à contre-pied par ses adversaires»
La plus radieuse parmi les politiciens est probablement Regula Rytz: «C’est un résultat exceptionnel compte tenu du fait que cette initiative, en détruisant le système suisse, était explosive. C’est un plébiscite pour le respect des traités internationaux», se réjouit-elle. De son côté, Heinz Karrer s’est déclaré agréablement surpris par la netteté du résultat. «J’y vois un important signal adressé à nos partenaires étrangers», souligne le patron des patrons. Celui-ci, qui rentre de Vienne, raconte qu’aussi bien le chancelier Sebastian Kurz que le président Alexander van der Bellen l’ont interpellé au sujet de cette votation. Pour ne pas parler d’un ministre indonésien, qui lui a affirmé voilà un an: «La Suisse est une banque centrale de confiance.» C’est dire si la fiabilité de la Suisse était en jeu!
L’engagement de la société civile
L’ampleur du score s’explique par l’engagement d’une société civile qui ne veut pas, selon le mot de Flavia Kleiner, que «la Suisse devienne un musée en plein air».
Lire également notre éditorial: Le simplisme inopérant de l’UDC
L’égérie du mouvement «Opération Libero», créé en 2014 après l’approbation de l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», est plus optimiste que jamais: «Je pense que ce 25 novembre marque la fin des initiatives de l’UDC dont personne ne parvient à mesurer les véritables conséquences», estime-t-elle. A l’occasion de ce vote, la société civile s’est encore renforcée. En septembre dernier, un nouveau mouvement de citoyens est né: «Courage civil», qui s’est montré très actif sur Facebook. Lui aussi se bat pour une Suisse ouverte, mais il dit couvrir une palette plus large de la population. «Nous rassemblons des membres de trois générations de 20 à 70 ans, alors qu’Opération Libero est plus jeune», relève l’un de ses initiateurs, Mark Balsiger.
Lire aussi: Pourquoi l’initiative sur l’autodétermination n’a pas convaincu
Reste désormais à savoir si la grande perdante du jour, à savoir l’UDC, va souffrir à terme de cette défaite. Le chef du groupe du Parti socialiste suisse, Roger Nordmann, en est persuadé: «Les Suisses sont fatigués de l’UDC et de sa politique des faux clivages entre le peuple et les institutions, entre la Suisse et l’étranger, entre la démocratie et les droits fondamentaux», a-t-il tweeté. De son côté, le conseiller national Christian Wasserfallen (PLR/BE), qui adore les métaphores sportives en raison de sa passion pour le club de hockey du SC Berne, s’est montré beaucoup plus réservé. «Nous n’avons gagné que le premier tiers-temps. Mais le match n’est pas terminé, car il reste beaucoup d’autres batailles à livrer», a-t-il relativisé.
Les futures batailles seront plus dures
Ces autres batailles, ce sont le Pacte de l’ONU pour les migrations, l’initiative «de limitation» de l’UDC qui a pour but de résilier l’accord de libre circulation des personnes avec l’UE, ainsi que l’accord institutionnel que réclame cette même union à la Suisse depuis dix ans.
Lire aussi: L’électorat alémanique a massivement basculé contre l’UDC
Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il sera difficile de réaliser la même large alliance que celle de ce 25 novembre. Car si ce week-end, le peuple a bien montré que ce n’est pas cette vague initiative qui allait «sauver la démocratie directe», comme l’affirmait l’UDC, il risque d’être plus divisé sur de futurs enjeux beaucoup plus concrets. «Je suis opposé au Pacte pour les migrations», a par exemple précisé Christian Wasserfallen. Quant à l’accord institutionnel avec l’UE, il est cliniquement mort à en croire plusieurs journaux dominicaux, ce qui désole le coprésident du Nouveau mouvement européen suisse (Nomes) François Cherix. «Le Conseil fédéral serait bien inspiré de ne plus trembler devant l’UDC et d’abandonner ses tactiques de repli nationaliste qui déconsidèrent la Suisse», souhaite-t-il. Interrogée en conférence de presse, la cheffe de Justice et Police, Simonetta Sommaruga, a observé un silence embarrassé. En matière de politique européenne, le gouvernement nage en plein brouillard, bien à l’image du temps de ce dimanche.