Le Temps: comment expliquez-vous les annonces du week-end dernier?
Oscar Mazzoleni: La Suisse vit un tournant politique. Les trois principaux partis bourgeois, l'UDC, le PLR et le PDC vont connaître un renouvellement de leur présidence ce printemps. Un chapitre politique s'achève, surtout avec les départs de Toni Brunner et Christophe Darbellay, présidents depuis longtemps (NDLR: huit ans pour le premier, plus de 9 ans pour le second). Après les élections fédérales de l'automne et le changement de formule gouvernementale au Conseil fédéral, ce moment de transition exprime un besoin de relève. C'est un bon moment pour le faire: cela laisse le temps aux nouvelles équipes dirigeantes de se rôder avant les futures échéances électorales.
– Dans la foulée du virage à droite qui s'est produit aux élections fédérales, verra-t-on une droitisation à la tête des partis?
– Difficile à dire à ce stade. Christoph Blocher et l'importateur de voiture Walter Frey, qui a aussi annoncé vouloir quitter la vice-présidence, sont relativement âgés (NDLR: ils ont 75 et 72 ans). Il peut y avoir une dimension de fatigue personnelle…
– Ou alors le départ de Christoph Blocher ne diminuera pas son influence sur l'UDC….
– En effet, le pouvoir qu'il exerce sur son parti et la politique suisse depuis le milieu des années 90 ne dépend pas de ses fonctions formelles. Il peut très bien jouer un rôle d'éminence grise et de bailleur de fonds de l'UDC sans occuper de fonction effective. Et puis, il a déclaré qu’il n'entend pas quitter la vie politique. Il restera actif dans d'autres mouvements, comme le «comité non à l'adhésion insidieuse à l'Union européenne». Je note aussi que son départ suit l'élection de sa fille, Magdalena Martullo-Blocher, au Conseil national en octobre.
– Que voulez-vous dire?
– A EMS Chemie, Magdalena Martullo-Blocher a fait ses preuves et son père lui a laissé les commandes de l'entreprise. Cet automne, elle a démontré ses compétences politiques en conquérant un siège à Berne. On peut faire une analogie: en démontrant sa capacité à gérer l'héritage, elle a ouvert la possibilité de la transmission. Occupera-t-elle un poste de vice-présidente de l'UDC? C'est une hypothèse.
– Le futur président de l'UDC, Albert Rösti, a annoncé qu'il ne dévierait pas de la ligne. Qu'en pensez-vous: l'UDC pourrait-elle quand même évoluer et devenir plus constructive ?
– Contrairement au PDC et au PLR où la ligne politique peut évoluer en fonction du président, l'UDC est soudée et disciplinée. Depuis la scission du PBD, il n'y a plus eu de vrais dissidents. La relève semble s'inscrire dans la ligne fixée. De manière générale, dans les formations politiques, le pouvoir s'établit à trois niveaux différents: soit celui des sections locales, soit celui de la présidence et de l'appareil du parti, soit au sein des institutions, dans les organes exécutifs ou législatifs. Au PLR et au PDC, le groupe parlementaire constitue le pivot du pouvoir du parti.
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A l'UDC, c'est l'appareil dirigeant du parti qui possède davantage le pouvoir: il impose ses candidats, les initiatives et les référendums. De ce point de vue, le changement de présidence à l'UDC constitue un enjeu plus important qu'au PLR et au PDC. Le nom d'Albert Rösti a été annoncé pour éviter de créer un vide de pouvoir, alors que le jeu est plus ouvert dans les deux autres formations. Quand la stratégie est fortement focalisée sur le lancement de référendums et d'initiatives, il ne faut pas s'étonner que la relève soit préparée autrement.
– Tout de même, comment interpréter le choix du conseiller national Albert Rösti, un homme au profil moins tranchant que ceux de Toni Brunner et Christoph Blocher?
– Restons prudent et attendons pour juger. Lorsque Ueli Maurer a été élu à la présidence de l'UDC en 1996, qui aurait soupçonné qu'il allait réorganiser le parti et le transformer en machine de guerre?
– Le choix d'un Bernois semble indiquer une ouverture vers la Suisse romande où se situe la réserve de voix de l'UDC….
– C'est juste, la percée électorale a été importante en Suisse romande aux dernières élections fédérales et pourrait se poursuivre. Le problème en Suisse romande, c'est la relève. Guy Parmelin (NDLR: le conseiller fédéral élu en décembre 2015) représente une exception et à part quelques noms comme Oskar Freysinger, Céline Amaudruz ou Yves Nidegger, peu de personnalités percent et se montrent capables de représenter le parti de manière crédible. C'est un vrai problème pour l'UDC nationale qui reste en quête d'une classe dirigeante romande.