Problème: cette information, jusque-là, a précisément fait défaut. Si le contrat gazier signé avec l'Iran, en présence de Micheline Calmy-Rey, pour la fourniture de 5,5 milliards de mètres cubes de gaz à partir de 2012 a naturellement été «remarquée» à Bruxelles, les discussions entre la Suisse et la Turquie lors du Forum énergétique de Rome ont en revanche pris de court la Commission. «Personne n'a pris le soin de nous tenir informés côté suisse. J'ai dû moi-même appeler votre mission à Bruxelles après votre coup de fil», confirme un interlocuteur européen.
Non-respect des normes
Or parler de transit gazier avec la Turquie est loin d'être indolore. Bruxelles et Ankara sont aux antipodes sur le sujet des normes environnementales et de la restructuration du secteur turc de l'énergie. La Turquie est régulièrement accusée d'«abuser de sa position de pays de transit» et de ne pas se conformer à la Charte de l'énergie qu'elle a pourtant signée avec l'UE. En bref, plus son intégration européenne s'éloigne, plus le gouvernement turc brandit l'arme du gaz. L'avenir du grand projet de gazoduc européen Nabucco, qui traverse le territoire turc, est évidemment en jeu: «Le sujet est empoisonné, confirme Suzanne Nies, experte au bureau bruxellois de l'IFRI. La capacité de nuisance de la Turquie embête partout. La Suisse ne peut pas l'ignorer.»
Mutisme de Berne
Qu'en déduire alors? D'abord, que la diplomatie helvétique, si pressée d'accompagner la délégation d'EGL à Téhéran, a manqué le coche européen. «La question porte moins sur le contrat d'achat de gaz iranien lui-même, qui ne viole aucune sanction et correspond peu ou prou à ce que font des compagnies comme Total, que sur la façon dont ce dossier a été politiquement géré», estime un collaborateur du commissaire européen à l'Energie, Andris Piebalgs.
Car la question, là aussi, est empoisonnée. L'UE est sous la pression de ses compagnies pétrolières pour rouvrir les vannes iraniennes. Mieux: beaucoup de spécialistes, comme Suzanne Nies, inquiets de la fiabilité des réserves présumées de l'Asie centrale (Turkménistan), affirment que le gaz iranien est la seule solution à terme pour contourner le géant russe et remplir les tuyaux de Nabucco. Autant dire que le dossier énergétique iranien est politiquement très inflammable. «L'idée de créer une interdépendance énergétique entre l'Iran et l'Europe est peut-être bonne, résume un expert. Mais la Suisse ne peut pas ignorer les remous que cela crée au sein de l'UE.»
Le prix politique du flou helvétique est bien sûr difficile à évaluer. Mais il ne contribue pas à la confiance, dans un contexte bilatéral déjà handicapé par des épines comme la fiscalité cantonale des entreprises. Le mutisme de la Suisse est en outre d'autant plus mal compris qu'EGL est partenaire du norvégien StatoilHydro dans le futur pipeline Transadriatic (TAP) prévu pour relier l'Iran à l'Italie et considéré, avec Nabucco, comme l'un des maillons essentiel de la «fameuse route énergétique du sud», pour laquelle l'UE a nommé un coordinateur, Jozias Van Artsen, basé à La Haye. «Or nous travaillons, avec les Norvégiens, en coopération étroite», note-t-on au bureau de ce dernier, où l'on estime «n'avoir pas souvenir de contacts avec les Suisses».
Une première rencontre, agendée la semaine prochaine à Bruxelles, entre le commissaire Piebalgs et des représentants d'EGL et de StatoilHydro devrait y remédier. Mais le dossier est apparemment si sensible qu'à Zurich la direction du groupe suisse n'a pas voulu nous la confirmer. Ni en donner la date.