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«La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sortira renforcée»

Stiliano Ordolli est le nouveau chef de la cellule anti-blanchiment. Le Genevois explique pourquoi les réformes en cours sont nécessaires

Stiliano Ordolli, nouveau chef du MROS. — © Béatrice Devènes
Stiliano Ordolli, nouveau chef du MROS. — © Béatrice Devènes

Stiliano Ordolli est le nouveau chef du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Il remplace la titulaire du poste, Judith Voney, qui passe à la Division Enquêtes Terrorisme de la Police judiciaire fédérale. Agé de 40 ans, docteur en droit de l’Université de Genève, Stiliano Ordolli, après un passage dans la banque puis dans la diplomatie, prend ses fonctions à un moment charnière pour la lutte anti-blanchiment. Dès le 1er novembre en principe, le MROS pourra échanger avec ses homologues à l’étranger des informations relatives à des comptes bancaires et à leurs bénéficiaires. A plus long terme, la Suisse va devoir adapter ses lois aux recommandations révisées du Groupe d’action financière (GAFI). Les banques seront contraintes de détecter et d’annoncer au MROS les soupçons d’infractions fiscales graves. Le Conseil fédéral a décidé mercredi d’aller de l’avant avec cette réforme.

Le Temps: Quelle garantie que les renseignements fournis à l’étranger ne serviront pas à contourner l’entraide judiciaire et ses voies de recours?

Stiliano Ordolli: Nous fournirons des informations, mais aucun document qui pourrait être utilisé comme preuve à l’étranger. Précisons que nous transmettons déjà des renseignements sur des faits de nature criminelle, mais que la loi ne nous permet pas, jusqu’ici, de fournir des informations financières telles que le numéro de compte, le nom des intermédiaires financiers, les bénéficiaires effectifs, les transactions, etc. Pour répondre à la question: non, l’échange d’informations entre les autorités membres du Groupe Egmont (qui réunit les cellules anti-blanchiment de 139 pays, ndlr) n’est pas une manière de contourner les règles sur l’entraide judiciaire. Il faudra de toute façon une autorisation du MROS pour utiliser les renseignements fournis dans un autre cadre, par exemple pour préparer une demande d’entraide adressée à la Suisse. La coopération au sein du Groupe Egmont facilite la présentation de demandes d’entraide, mais ne les supplante pas. Rappelons que notre but commun est de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

– L’Egypte s’est vu refuser par le Tribunal pénal fédéral l’accès au dossier pénal de l’enquête en Suisse, précisément pour que les renseignements qu’il contient ne lui parviennent pas avant la fin de la procédure d’entraide. C’est dire que la prise de connaissance anticipée de certaines informations peut être très délicate…

– Le parlement a introduit dans les nouvelles dispositions une clause préservant l’ordre public et les intérêts nationaux. Une clause du même type figure déjà dans l’ordonnance d’application, elle exprime des principes généraux du droit, mais sera désormais inscrite en toutes lettres dans la loi. Le MROS, par exemple, ne fournira pas des informations sur un requérant d’asile ou un opposant politique réclamées par son Etat d’origine. Il n’ira pas non plus à l’encontre d’une décision de justice.

– La Suisse avait-elle le choix?

– Le MROS a toujours fourni des informations très utiles à ses partenaires, mais pas d’informations financières, comme je l’ai expliqué. Or, ces informations ont trait à l’essentiel de notre activité. Parce que la loi suisse ne lui permettait pas d’échanger ce type de renseignements, le MROS a été menacé d’être exclu du Groupe Egmont. On a toujours le choix, mais en acceptant de modifier la loi, le parlement a envoyé un message clair et estimé que le MROS devait continuer à faire partie de ce groupe. J’ajoute que la coopération ira dans les deux sens: nous pourrons obtenir des informations de nos partenaires, et confirmer des éléments dont nous ne disposions pas. Une autre modification très importante a trait aux intermédiaires financiers qui ne nous ont pas communiqué de soupçons, mais auxquels, désormais, nous pourrons demander directement des informations. La procédure s’en trouvera allégée, et moins coûteuse, et c’est dans l’intérêt de la place financière. Car jusqu’ici, quand nous transmettons le cas à un procureur, il doit envoyer une ordonnance de production de pièces à la banque; nous dénonçons en outre le cas à la Finma, qui a la compétence d’effectuer des enquêtes auprès des intermédiaires financiers.

– L’autre chantier concerne la mise en œuvre des recommandations du GAFI révisées en 2012. A priori, la criminalisation des infractions fiscales graves est de nature à faire augmenter de manière exponentielle le nombre de communications qui vous seront adressées. Quelles sont vos projections?

– Il est extrêmement difficile de faire des prévisions sur le volume des communications entraîné par l’adaptation aux recommandations du GAFI. Beaucoup dépendra du détail des dispositions qui seront votées par le parlement. Pour le moment, la procédure de consultation est tout juste achevée. Les besoins sont évalués à dix postes supplémentaires.

– La limite fixée à 600 000 francs d’éléments imposables soustraits au fisc est considérée comme basse. Est-ce aussi votre avis?

– Elle ne l’est pas en comparaison internationale, il y a des pays qui ne connaissent aucun seuil pécuniaire dans les infractions fiscales. En outre, ce seuil n’est pas le seul élément déterminant: il faut encore que la dissimulation de cette somme au fisc soit faite de manière astucieuse, en trompant l’autorité fiscale ou grâce à des faux documents. – Le projet mis en consultation vise aussi à améliorer votre rôle d’interface entre les banques et la justice. Quel est le point faible à renforcer?

– Nous disposons actuellement d’un délai de cinq jours à compter du moment où l’intermédiaire financier nous signale une opération suspecte pour analyser le cas, décider si nous le classons ou si nous le transmettons à la justice, et pour que celle-ci bloque les fonds à son tour. C’est difficile d’approfondir les cas qui nous sont soumis dans un délai aussi court. Le Conseil fédéral a pris cette situation en compte, et le MROS disposera désormais du temps nécessaire pour effectuer une analyse plus approfondie.

– Les fonds ne seront plus bloqués?

– Les opérations sur le compte pourront être effectuées normalement, sauf dans les transactions qui auraient pour effet de faire partir les fonds. Ou si les soupçons portent sur le financement du terrorisme. L’opération sera alors suspendue pendant cinq jours au plus, à charge pour le MROS de rendre une décision dans ce délai. Si nous transmettons à la justice, les fonds restent bloqués encore cinq jours supplémentaires, le temps pour celle-ci de rendre à son tour une décision.

– Le MROS deviendra-t-il davantage un organe d’enquête?

– Le MROS n’est pas une autorité policière, il n’investigue pas sous la responsabilité d’un procureur, il a une fonction d’analyse. Mais il ne fonctionne pas en vase clos au sein de l’Office fédéral de la police. Il a accès aux banques de données policières. Les dispositions entrant en vigueur cette année et le projet mis en consultation renforceront la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.