Publicité

Lutte contre le crime organisé: les défis qui attendent les nouveaux enquêteurs fédéraux

Depuis le 1er janvier, les enquêtes sur la grande criminalité internationale dépendent entièrement du Ministère public fédéral. La réussite de l'opération est importante pour l'image de la Suisse. A Genève, le procureur général Bernard Bertossa vient de communiquer à la nouvelle équipe un dossier concernant les fonds de l'ancien président yougoslave Slobodan Milosevic.

C'est l'un des premiers effets de l'entrée en vigueur, au début de ce mois, d'une révision législative décisive. Dès le début de l'année, la lutte contre la grande criminalité internationale relève des autorités fédérales. Et non plus des cantons. Tirant les conséquences de ce changement majeur, le procureur général du canton de Genève, Bernard Bertossa, vient de transmettre à Berne un dossier concernant les fonds de Slobodan Milosevic. L'an dernier, Belgrade a en effet adressé à la Suisse des demandes d'entraide portant sur des comptes, à Genève notamment, liés à des proches de l'ancien président yougoslave. Jusqu'ici, chaque fois qu'elle répondait à des commissions rogatoires de l'étranger, la justice genevoise examinait la nécessité d'ouvrir elle-même une enquête pénale pour déterminer d'éventuelles responsabilités en Suisse.

Cette fois, Bernard Bertossa a transmis le cas à Berne. Le Ministère public fédéral n'entend pas encore dire quelles suites il veut lui réserver et s'il ouvrira effectivement une enquête. «L'affaire semblait relever clairement des nouvelles compétences fédérales. Si la loi n'avait pas changé, j'aurais moi-même ouvert une enquête», glisse le chef du Parquet genevois.

Manière de dire: à d'autres de jouer, et voyons ce qu'ils savent faire. «Les magistrats du Ministère public fédéral se sont organisés de manière sérieuse. Je ne suis pas du tout pessimiste», pronostique le Genevois, qui achève son mandat à la fin du printemps. «Quant à la volonté d'ouvrir des enquêtes, il est trop tôt pour en juger», observe-t-il cependant.

Il est vrai que, à part les investigations liées aux attentats du 11 septembre, on ignore encore presque tout du travail de la nouvelle équipe à Berne, près d'un mois après le début effectif des opérations. Une conférence de presse prévue pour la semaine dernière a été annulée faute de véritables nouvelles à annoncer. Mais le Ministère public de la Confédération ne chôme pas, rassure Claude Nicati, procureur général suppléant. Des affaires sont actuellement en cours. Combien? De quel type? Quel est l'état des procédures? Mystère. Claude Nicati demande le bénéfice des cent jours traditionnellement accordés aux nouveaux élus pour se faire la main à leur poste. «Au rythme où ils nous parviennent, nous devrions dépasser le nombre d'environ 30 dossiers par an que nous avions prévus», précise-t-il néanmoins.

La phase de transition qui s'ouvre est délicate à plus d'un titre. Il ne s'agit pas seulement d'une rupture avec 150 ans de fédéralisme judiciaire et policier, d'une centralisation à laquelle la Suisse s'est finalement résolue pour des raisons d'efficacité mais non sans hésitations d'ailleurs. «C'est la réputation du pays qui est en jeu. La Confédération n'a pas le droit de faire moins bien que ce que les cantons ont fait avant elle», avertit le juge d'instruction cantonal vaudois Jacques Antenen. Sceptique au départ, regrettant que la loi finalement adoptée n'ait pas laissé subsister des compétences parallèles en faveur des cantons dans les domaines les plus sensibles, le magistrat vaudois n'en aborde pas moins la nouvelle ère «dans un esprit de collaboration».

A Genève aussi, les réticences qu'on a senties tout au long du processus semblent s'être atténuées. Les Genevois ont reçu des signaux positifs concernant la création d'antennes régionales du Ministère public dans les différentes régions. A Genève en particulier, où le projet pourrait se concrétiser dès l'an prochain déjà, à en croire Bernard Bertossa. Le Parquet fédéral ne confirme rien, mais répète être favorable à la création de ces antennes régionales et avoir fait une proposition au Département de justice et police. La question de savoir quand et où ces antennes seront installées reste ouverte. Dans un premier temps, les impératifs liés à la mise en place d'une nouvelle équipe à Berne, la nécessité de créer une manière de travailler commune ont conduit les responsables du projet à ne prévoir qu'à plus longue échéance la création de parquets «délocalisés».

Une «succursale» du Ministère public fédéral à Genève sera évidemment de nature à susciter des candidatures dans ce canton. Car l'obligation de travailler à Berne a été jusqu'ici, avec les différences de statut et de traitement, l'un des principaux obstacles qui ont retenu les magistrats genevois, pourtant faits au feu par douze ans de présence de Bernard Bertossa à la tête du Parquet, de se mettre au service de la Confédération. La situation n'est pas très différente dans le canton de Vaud, où seul un juge d'instruction passera à Berne.

Ce qui fait dire à Jacques Antenen que l'opération entraîne, du moins jusqu'ici, une perte de savoir-faire. «Attention: je ne dis pas que les gens engagés à Berne ne sont pas compétents. Mais tous ceux qui avaient acquis une expérience de la criminalité internationale et économique ne sont pas à Berne.»