Le Temps: Au niveau de la criminalité transfrontalière, de manière globale, constatez-vous une tendance (diminution, augmentation, stagnation) cette année, par rapport à 2012?
Olivier Jornot: Les statistiques judiciaires ne distinguent pas spécifiquement ces infractions. Ce que nous observons de manière empirique, c’est une diminution de la criminalité transfrontalière la plus violente. Les attaques à l’arme de guerre se font heureusement plus rares. Il reste, malheureusement, des braquages de stations-service ou autres établissements, à un niveau trop élevé, et je le déplore.
Les mesures mises en place ont-elles donc fait fortement baisser la criminalité lourde, celle des «pros»? Qu’en est-il des «amateurs»?
Ce n’est pas la répression policière et judiciaire qui façonne le crime, on se contente d’y répondre le mieux possible. Cela dit, le niveau de réponse du canton à la délinquance est plutôt en hausse, aussi bien au niveau politique et policier que judiciaire, et cela peut avoir un effet dissuasif. Par ailleurs, dans certaines affaires, les autorités françaises ont demandé d’extrader leurs ressortissants, ce qui permet de casser le mythe selon lequel on peut venir braquer en Suisse et profiter de la gentillesse supposée de nos tribunaux.
A ce titre, comment qualifiez-vous la coopération transfrontalière avec la France?
La coopération est très intense, tant au niveau policier que judiciaire. Je rencontre régulièrement mes homologues de la région frontalière, les procureurs généraux de Lyon et Chambéry ainsi que les procureurs de la République qui leur sont rattachés (Thonon, Annecy, etc.). Ces contacts sont extrêmement fructueux. Ils permettent de résoudre beaucoup de problèmes très concrets, car des actes de coopération franco-suisses sont entrepris tous les jours par les magistrats et les policiers. Si un vol est commis à Genève et que le voleur loge dans un motel de l’autre côté de la frontière, il faut agir vite!
Cette coopération a été renforcée récemment par l’entrée en vigueur d’une procédure d’entraide accélérée, que les policiers peuvent mettre en œuvre avec l’accord oral d’un magistrat. Une perquisition peut ainsi intervenir moins d’une heure après avoir été sollicitée. C’est formellement de l’entraide, par le moyen d’une commission rogatoire internationale mais cette dernière revêt, grâce à un accord entre autorités judiciaires, une forme simplifiée.
Il y a aussi une intense coopération de nos policiers avec la police nationale et la gendarmerie françaises. Les contacts sont permanents et fructueux.
Au niveau des instruments, qu’est-ce qui vous permets de faire la différence?
Sur le plan judiciaire, depuis 2009, l’accord bilatéral franco-suisse de Paris a donné un grand coup d’accélérateur à la coopération transfrontalière. Grâce à cet accord, les poursuites transfrontalières sont autorisées: la police genevoise peut entamer la poursuite d’un véhicule à Carouge et l’arrêter à Gaillard, sans se soucier de la frontière. L’inverse est également vrai, et des malfrats sont tout surpris d’être interpellés à Genève par des policiers français auxquels ils pensaient échapper en passant la frontière!
Dans le cadre de cet accord, il y a un volet encore en construction, qui est ce que l’on nomme les «équipes communes d’enquête». L’accord de Paris permet de constituer des équipes mixtes pour s’attaquer à des enquêtes complexes à caractère transfrontalier. Un accord d’application est actuellement en cours d’élaboration. Il liera tous les cantons romands et les autorités françaises.
Quel bilan dressez-vous aujourd’hui de la sécurité à la frontière, un an après conclusion de l’accord entre le Ministère public et le Conseil d’Etat?
La vertu principale de cet accord a été de réorienter l’activité de la police vers un certain nombre de priorités conjointes. C’est un exercice qui devra être régulièrement remis à jour, les priorités étant appelées à évoluer en fonction des phénomènes criminels.
Quels sont les chantiers en cours ou encore à bâtir?
Il y en a en permanence! La lutte contre la criminalité est constamment en travaux, notamment pour nous adapter aux nouvelles formes de criminalité.
Prenez l’exemple des personnes sans titre de séjour qui s’installent dans la marginalité et la délinquance à Genève. Suite au printemps arabe, une arrivée massive de plusieurs centaines de clandestins a fait exploser le nombre des infractions commises dans l’espace public. La population a eu le sentiment que les autorités étaient dépassées par la situation, ce qui était assez vrai. Cette perception d’une impuissance de l’Etat est très dangereuse et il a donc fallu trouver une réponse policière et judiciaire adaptée. Avec comme résultat une augmentation très forte de la population de la prison de Champ-Dollon, et une baisse importante des infractions telle que les vols à l’arraché et à l’astuce, ou encore des cambriolages.
L’une des inquiétudes actuelles dans l’analyse des phénomènes criminels, c’est l’augmentation extrêmement importante de la délinquance commise à Genève par des ressortissants roumains. Ce sont des populations jeunes, assez désespérées par leurs conditions de vie et quant à leur futur, et à qui on présente la Suisse comme un «eldorado» justement. Quelle va être notre réponse, sachant que l’on parle de citoyens européens? Ce sera l’un des défis de demain pour la police et le Ministère public genevois.