Elu en 2014 maire d’Archamps en Haute-Savoie, près de Genève, Xavier Pin découvre avec stupeur les singularités de sa région d’adoption. Ce professeur en droit à l’Université de Lyon, qui a vécu à Grenoble, à Paris, en Allemagne et fut partout à l’écoute du débat politique, observe que la mauvaise foi «à la sauce genevoise» a un goût plus piquant qu’ailleurs. Il prend en exemple la récente dénonciation par le Mouvement citoyens genevois (MCG) du versement des fonds frontaliers aux communes de France voisine. «Ce parti laisse entendre qu’ils serviraient à autre chose qu’à financer des infrastructures transfrontalières, que Grenoble ou Clermont-Ferrand recevraient de l’argent. C’est grotesque et mensonger», dit-il.

Archamps, 2600 âmes dont 1400 frontaliers, perçoit au titre des fonds frontaliers ou compensation financière genevoise (CFG) 1,2 million d’euros par an, somme qui équivaut à 39% du budget de la commune. «Et cet argent est injecté dans des projets en direction des frontaliers, français et suisses, car ces derniers sont nombreux à résider chez nous. Nous venons ainsi de consacrer 200 000 euros pour rendre plus fluide l’accès routier à la douane de La Croix-de-Rozon», précise Xavier Pin. Une piste cyclable sera aussi aménagée en continuité de celle qui existe déjà de l’autre côté de la frontière. Le maire poursuit: «Nous venons de rouvrir, après cinq années d’arrêt, le téléski de la Croisette sur le Salève; 80 000 euros ont été dégagés et nous avons investi dans une nouvelle dameuse. Les Français, mais surtout les Suisses qui sont les plus nombreux là-haut, pourront skier dans de meilleures conditions.»

Le parti exige plus de transparence dans les montants alloués

Le MCG a déposé une initiative visant à renégocier l’accord franco-suisse de 1973 sur la CFG qui compense le manque à gagner des communes de France voisine, les frontaliers étant imposés à la source, à Genève en l’occurrence. A hauteur de 3,5% sur la masse salariale totale, cette CFG est versée aux départements de Haute-Savoie (77%) et de l’Ain (23%), qui la redistribuent pour plus de la moitié aux communes. La part départementale finance de gros projets liés essentiellement à la mobilité. En 2015, les deux départements ont reçu 257 millions d’euros. «Stop au cadeau royal à la France!» clame le MCG. Qui évoque le manque de transparence des montants alloués. «Nous savons par exemple que de l’argent genevois est allé à un club de boulistes à Culoz, dans le fin fond de l’Ain», avance François Baertschi, secrétaire général du MCG. «Une hérésie», selon Michel Charrat, président du Groupement transfrontalier européen, qui juge que «le MCG a allumé une mèche et que ça risque de lui péter dans le dos». «L’accord de 1973 est avant tout favorable à Genève car lorsque 270 millions de francs vont en France voisine, plus de 500 remplissent les caisses genevoises. En remettant en cause l’accord de 1973, on se tournerait vers celui de 1983, qui s’applique aux autres cantons comme le Valais, Vaud, Neuchâtel ou le Jura, et Genève perdrait 267 millions de francs comme l’ont récemment affirmé les autorités genevoises.»

Christian Dupessey, maire d’Annemasse, ville qui recense 9500 frontaliers et perçoit près de 10 millions d’euros au titre de la rétrocession, juge qu’une remise en question de l’accord de 1973 pousserait une partie des 30 000 Suisses installés en France voisine à repartir sur Genève. «Ces fonds aident fortement à l’ouverture de nouvelles classes. Où pourraient-ils alors scolariser leurs enfants? Notre politique commune vise à une prospérité pour tous, celle du MCG mènerait à l’appauvrissement général», argue l’édile.

Des défenseurs de l'accord de 1973

Gabriel Doublet, maire de Saint-Cergues (850 frontaliers, 1 million d’euros de CFG), pense que le MCG, «parti en fin de cycle», est allé «au bout de la démagogie». «Ecole, salle des fêtes, bibliothèque, voilà où va l’argent pour le bien de tous. Le MCG joue contre Genève et dans ce contexte nous avons apprécié la prise de position de François Longchamp.» Le président du Conseil d’Etat a expliqué à la Tribune de Genève que le canton se tirerait une balle dans le pied si l’accord de 1973 était dénoncé et celui de 1983 appliqué. «L’argent ne serait plus utilisé localement, les sommes iraient à Paris, qui en ferait ce qu’il veut, au détriment des territoires de la proche frontière», a-t-il précisé. De son côté, Antoine Vielliard, maire de Saint-Julien-en-Genevois, se dit certain que l’initiative du MCG, si elle allait jusqu’au bout, serait adoptée par le peuple genevois «comme fut adopté le non-financement par Genève des parkings P + R en France voisine». «La classe politique genevoise porte dans son ensemble une responsabilité, en ayant laissé plus ou moins entendre que ces fonds ne servaient à rien sinon à construire des ronds-points ou ravaler les façades des mairies. Le MCG n’a fait que reprendre l’idée ambiante», accuse-t-il. Il prône un énorme travail d’explication auprès du public.