Dans la torpeur estivale, l’association faîtière des enseignants de Suisse alémanique tire la sonnette d’alarme. Partant du constat inquiétant que les jeunes profs jettent l’éponge trop tôt, elle proposait dimanche dans la NZZ am Sonntag de mettre en place un système de mentorat pour les nouveaux enseignants débordés. Selon elle, 20% à 30% des maîtres quittent en effet le métier dans les cinq premières années. L’Office fédéral de la statistique (OFS) valide le bas de cette fourchette: le taux de départ parmi les diplômés des Hautes écoles professionnelles (HEP) est d’environ 20% dans les quatre premières années d’enseignement, selon une étude de 2014.

Le professeur vissé à son pupitre de toute éternité – c’est-à-dire jusqu’à sa retraite – n’est donc plus qu’un souvenir. Mais que se passe-t-il donc à l’école? Dans un contexte où les cantons investissent beaucoup dans la formation des maîtres, ce pourcentage fait mal. Mais pour Jacques Babel de l’OFS, il faut relativiser: «Ce chiffre est très similaire à celui rencontré dans l’ensemble du marché du travail.» Les jeunes enseignants n’auraient donc pas davantage la bougeotte que les autres.

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Une charge administrative chronophage

Pour autant, ces chiffres préoccupent en Suisse romande aussi. «Le métier change et la formation n’en tient pas suffisamment compte», expose Samuel Rohrbach, président du Syndicat des enseignants romands. Des nouveaux défis auxquels les jeunes maîtres ont à faire face, il en dresse une longue liste: l’intégration des élèves à besoins particuliers, l’hyper-médicalisation des enfants, la charge administrative chronophage, les exigences parentales, la formation aux nouveaux moyens d’enseignement. «La part de l’enseignement devrait représenter l’essentiel du travail. Les autres tâches tendent à gagner de l’ampleur, et cela peut décourager», résume-t-il.

Davantage d’encadrement?

Si le syndicat estime que la piste du mentorat mérite d’être creusée, il évoque aussi la possibilité d’ajouter à la formation deux ans en emploi, histoire de mettre les jeunes profs à l’école des réalités. A Genève, Laurent Vité, président du syndicat des enseignants du primaire, préfère incriminer le manque de moyens: «Il faut secouer les pouvoirs publics car les enseignants manquent de forces d’encadrement. Il faudrait que les maîtres soient secondés par davantage d’éducateurs, d’assistants sociaux, d’infirmières scolaires. Aujourd’hui, ils sont tout cela à la fois.»

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Jean Romain: «L’école des pédagogistes est en train de détruire les profs»

C’est précisément ce constat qui fait bondir le député PLR et ancien professeur Jean Romain, pour qui «l’école des pédagogistes, après avoir détruit les élèves, est en train de détruire les profs». Dans une prise de position en réaction aux chiffres de départ avancés, il regrette que la mission première de l’école, la transmission d’un savoir, s’efface devant l’objectif d’animer les classes. «Aux exercices répétitifs, on a préféré les activités; au travail, le jeu; à la règle, l’option. Le mode «cool» est branché en permanence sur l’école, qui est devenue une sorte de gardiennage dans lequel le prof est réduit à tenter de maintenir un ordre sans cesse vacillant.»

Avec pour conséquence inévitable la contestation de son autorité, par les élèves comme par les parents. «Ce glissement progressif de l’instruction vers l’éducation a transformé le professeur en éducateur, ce qu’il n’est pas, et ce qu’il ne veut pas être. Et le stress est démultiplié.» Il ajoute à ce diagnostic «un manque de soutien de la hiérarchie», «l’inflation bureaucratique née de la peur de l’Etat devant les recours, les plaintes, les réactions diverses», «les réformes en rafales». Sauf qu’au Département de l’instruction publique genevois, l’inquiétude n’est pas partagée. Il fait savoir que le taux d’abandon dans les cinq premières années est de 1% à 4% au primaire et de 2% à 9% au secondaire.