Libre circulation
Selon l'avocat Jean Russotto, la Suisse doit tenir le cap des négociations et du calendrier avec la Commission. Objectif: parvenir à un accord encore cet été

Pour Jean Russotto, avocat d’affaires suisse installé à Bruxelles et l’un des meilleurs connaisseurs des relations bilatérales, le Brexit constitue certes un grand problème pour l’Union Européenne (UE). Mais ce n’est pas une raison suffisante pour geler les négociations avec la Suisse sur la libre circulation des personnes. Il affirme que Berne doit tenir le cap et le calendrier des négociations avec la Commission pour aboutir à un accord encore cet été. Il rappelle que les négociations avaient été mises en veille pendant plusieurs mois. Avant le vote britannique, l'UE avait fait comprendre qu'en cas de Brexit, la gestion du divorce l'occuperait durant au moins deux ans et que la Suisse devrait patienter.
Le Temps: Le Brexit est-il synonyme de catastrophe pour la Suisse?
Jean Russotto: Le Brexit n’est pas une véritable catastrophe. C’est une crise extrêmement grave qui affecte l’UE dans son entier, et au-delà, la Suisse également. On sait que la Suisse perd rarement ses nerfs. Notre mode de fonctionnement est celui de la réserve, de la prudence et de la patience. Il est évident que, vu de Suisse, le Brexit représente une situation particulièrement délicate pour l’avenir, notamment pour la survie de nos relations avec l’UE. Mais le Conseil fédéral a des échéances à respecter. Dès lors, il n'a pas, à mon sens, à attendre que Bruxelles sorte de son chaos pour frapper à sa porte et poursuivre le dialogue entamé depuis plus de deux ans. La Suisse doit prendre l'initiative. Nous ne devons pas céder sur le calendrier. Par exemple, le chef négociateur suisse avec l’UE Jacques de Watteville n’aurait aucune raison de renoncer au débat annoncé pour ce lundi à la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen (selon la NZZ am Sonntag, ce rendez-vous a été annulé; la commission sera occupée ce jour-là à préparer la séance plénière de mardi sur le Brexit). Nous devons saisir chaque occasion pour faire comprendre que nous voulons construire rapidement des ponts avec l’UE.
- Y-a-t-il une voie alternative?
- Il y a une démarche à éviter en tout cas: nous ne devons pas nous réfugier dans le repli, ce qui pourrait être interprété comme une attitude frileuse ou un manque d’empressement. L’objectif de cet activisme, c’est aussi de se faire respecter en tant qu’interlocuteur important. Il ne faut pas oublier qu'un accord sur la libre circulation des personnes intéresse autant la Suisse que l’UE. L’idée n’est évidemment pas d’imposer notre calendrier à Bruxelles. Mais nous ne devons raisonnablement pas pâtir des enjeux propres à l’UE.
- La Suisse a-t-elle les moyens de se faire entendre ?
- En tout état de cause, il n’est pas question de profiter de la faiblesse actuelle de l’UE pour imposer notre agenda. Au contraire. En voulant poursuivre la négociation, nous pourrions contribuer à lui enlever une épine du pied. En effet, l’UE est directement concernée et potentiellement affectée par l’imbroglio créé par le vote du 9 février 2014 sur l’immigration. Il se peut que la crise actuelle puisse faire apparaître des solutions plus créatives, plus souples, auxquelles tant l’UE que la Suisse n'ont pas encore songé à ce jour. Une crise de cette ampleur peut être un tremplin qui permet de voir plus loin. Ainsi, poursuivre la négociation sur un possible accord cadre et la terminer de façon satisfaisante pour les deux partis pourrait bien dégager des solutions plus flexibles en matière de libre circulation des personnes. Si la Suisse ne reprend pas rapidement le dialogue, elle risque d’aller tout droit dans le mur et de causer un arrêt de longue durée dans le dialogue Suisse-UE.
- Mais l’autre solution ne serait-elle pas d’aller de l’avant avec le plan B de la Confédération, c'est-à-dire une mise en oeuvre unilatérale du vote du 9 février 2014?
- Cette solution, qui en fin de compte introduit des contingents, va à l’encontre du principe de la libre circulation des personnes. Inscrire la solution B dans un texte législatif, c’est la plus sûre manière d’aller à la confrontation et, ne l’oublions jamais, de voir disparaître la participation de la Suisse au programme Horizon 2020, ce qui serait un dommage considérable porté à l’économie du pays.