Marcel Winistoerfer, dernier maire bernois de Moutier, avant d’en devenir le premier jurassien
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Réélu ce dimanche, le PDC avait succédé à Maxime Zuber en 2016. Depuis, celui qui est surnommé «Winnie l’Ourson» a pris une dimension nationale, avant que la cité prévôtoise ne soit transférée dans le Jura en 2026

L’Hôtel-Restaurant de la Gare est un lieu mythique de Moutier. Avec sa façade orangée, il est le premier bâtiment que le voyageur découvre en descendant du train. Sur son toit tournoie le drapeau jurassien. L’établissement est le fief historique des autonomistes. Il accueille aussi le secrétariat du Mouvement autonomiste jurassien (MAJ). «C’est notre quartier général», sourit Marcel Winistoerfer. C’est d’ailleurs ici que le maire de Moutier fêtera sa réélection.
Rencontré trois jours avant le scrutin, il restait prudent, superstitieux comme tout politicien avant une élection. Mais le résultat ne faisait aucun doute, car ici il est très populaire. Cet homme jovial connaît presque tous les Prévôtois. Des centaines l’ont eu comme prof à l’école secondaire, d’autres comme entraîneur des juniors du FC Moutier. «J’ai même donné le caté.»
«Né dans un tuyau»
La politique est arrivée beaucoup plus tard dans sa vie. En 2006, après avoir cessé de former de jeunes footballeurs, il cède aux demandes répétées du PDC et se présente aux élections pour le Conseil de ville (parlement). Pourquoi ce parti? «Avant tout par tradition familiale. Mon père était PDC, il a même été député au Grand Conseil bernois. Il défendait la cause autonomiste en suisse-allemand.» Sensible, il parle avec émotion de son papa, Max, qui avait quitté Balsthal (SO) pour travailler comme employé de commerce dans la fonderie Von Roll à Choindez (JU). «Je dis toujours que je suis né dans un tuyau.» Sa langue maternelle est le suisse-allemand. «On me surnommait parfois le schtobirne.»
La politique se transmet de père en fils chez les Winistoerfer. Son fils Valentin siège lui aussi au Conseil du Jura bernois, mais dans les rangs du Parti socialiste autonome. «Ce n’est pas grave, moi je suis en fait un chrétien social.» Surnommé depuis toujours «Winnie l’Ourson» – «cela m’amuse, il faut savoir rigoler», il est réputé rassembleur, mais n’hésite pas à lancer des piques et soigne tout particulièrement ses discours. «J’aime beaucoup écrire. Mais tout est sérieux, surtout ici. Il faut faire attention de ne pas blesser les gens.»
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Depuis le vote clair du 28 mars 2021, les tensions se sont aplanies. Tous les Prévôtois se sont retrouvés à la Braderie ou à la Fête de la vieille ville. Monsieur le maire n’est pas serein pour autant. «Je suis inquiet, la ville ne cesse de perdre des habitants. Aujourd’hui, nous sommes 7300.» Le visage tendu, puis un bon mot: «C’est ma prière du soir.» Sera-t-il entendu Là-Haut? Un coup d’œil par la fenêtre. «Regardez, avec ce soleil, comme c’est beau, ici.»
Comment expliquer un tel exode? Au début des années 1970, la ville comptait 8880 habitants. «Des dizaines de cars bleus emmenaient les travailleurs chez Tornos, notre équipe de foot était en LNA et celle de hockey en LNB.» Tornos a fortement réduit son personnel, de nombreux jeunes ont quitté la ville et la Question jurassienne en a découragé d’autres. Le maire se débat pour changer l’image de sa cité. Les arguments sont égrenés. «Nous avons une situation de rêve, nous sommes proches de Bâle, Berne ou Bienne, et à 3h30 de Munich, Paris et Milan. L’économie va bien, l’avenir de notre hôpital est assuré, nous avons de bonnes écoles.»
L’autre grand défi pour celui qui est maire depuis 2016, c’est bien sûr le transfert de Moutier dans le Jura qui sera effectif le 1er janvier 2026. Dernier maire bernois de Moutier, mais aussi premier maire jurassien. Les autorités jurassiennes ayant d’ores et déjà décidé que les prochaines élections n’auraient lieu qu’en 2027. «Je pourrai ainsi finir un chapitre.»
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Avec les votations de 2017 et 2021, très suivies dans tout le pays, la bouille de Marcel Winistoerfer a fait le tour de la Suisse et il est entré dans l’histoire régionale. Fier et modeste. «Je n’aurais jamais imaginé cela, j’ai eu une chance inouïe. Je me suis rendu plusieurs fois au Palais fédéral, j’ai rencontré énormément de gens.» Il se tait et ajoute aussitôt, gêné par ses propos précédents: «Gardons les pieds sur terre.»
Des montagnes russes
Sur le plan émotionnel, l’enseignant, désormais à la retraite, a connu de sacrées montagnes russes ces dernières années. Le 18 juin 2017, les Prévôtois décident à 137 voix de rejoindre le canton du Jura. Explosion de joie dans la ville, où des milliers de Jurassiens sont venus célébrer ce vote historique. Douche froide quelques mois plus tard, la préfète du Jura bernois annule le scrutin. Il est au cœur de la polémique, car il lui est reproché d’être trop intervenu dans la campagne, notamment en écrivant une lettre à des parents d’élèves. La colère monte en lui, cette décision n’est toujours pas digérée. Du coup, il restera en retrait pour le deuxième vote. Reclu à l’Hôtel de Ville au moment de l’annonce d’un oui, avec 374 voix de différence.
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Un client entre, le salue. A Moutier, tout le monde le connaît et il côtoie tout le monde. Cette image de ville divisée en deux l’agace. «J’ai toujours acheté mes costumes dans un magasin de confection appartenant à un pro-bernois. De même pour ma voiture.» Encore un mot sur cet avenir si important à ses yeux: «J’espère que l’on retrouvera la grandeur, le faste des années 1960-70, même si le FC Moutier ne jouera plus jamais en LNA.»
Profil
1957 Naissance à Delémont.
1992 Mariage avec Pepita et naissance de leur fils Valentin.
2016 Elu maire de Moutier pour la première fois.
2017 Une faible majorité de Prévôtois vote pour un transfert dans le Jura. Le scrutin sera annulé.
2021 Moutier vote définitivement pour son transfert dans le canton du Jura.
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