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Marco Chiesa: «Nous n’avons pas une immigration qualitative et complémentaire, mais de masse»

Le président de l’UDC est le seul latin à la tête d’un parti national. Sa formation veut faire de la migration et de la neutralité les thèmes phares des prochaines élections fédérales

Marco Chiesa est président de l'UDC suisse depuis deux ans. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps
Marco Chiesa est président de l'UDC suisse depuis deux ans. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps

En cette année d'élections fédérales, Le Temps donne la parole aux présidents des six principaux partis nationaux, pour les confronter aux priorités de l'actualité.

Retrouvez, au fur et à mesure, toutes ces discussions.

Selon le dernier baromètre électoral de la SSR, l’UDC resterait largement le premier parti du pays avec 26,6% des suffrages. Conseiller aux Etats tessinois, Marco Chiesa préside cette formation depuis 2020.

Le Temps: La fin du Credit Suisse, est-ce la faillite de la place financière suisse?

Marco Chiesa: A mes yeux, c’est l’échec d’un modèle bancaire agressif, prêt à prendre des risques insensés à l’étranger. Ce n’est pas la culture suisse, ni celle de notre place financière.

L’ancien conseiller fédéral UDC Ueli Maurer, à la tête du Département des finances de 2016 à 2022, n’aurait-il pas dû réagir plus rapidement pour éviter une telle débâcle?

Le Credit Suisse a été coulé à cause de sa gestion avide et de ses choix à la fois risqués et erronés à l’étranger. La branche suisse, au contraire, est solide et fait des bénéfices. En 2013, l’UDC avait demandé une loi pour séparer les activités étrangères des activités suisses. Malheureusement, il a été sommairement répondu que les lois too big to fail étaient suffisantes pour éviter de nouvelles débâcles et notre proposition a été refusée par le Conseil des Etats.

Cette crise ne va-t-elle pas rebattre les cartes pour les élections fédérales?

Le rachat de Credit Suisse me préoccupe pour les emplois concernés et pour la position dominante d’UBS. Je consacre mon temps à résoudre des problèmes concrets et non à spéculer sur les possibles conséquences électorales. Il se passera encore beaucoup de choses d’ici au 22 octobre qui auront une influence sur les élections fédérales, alors je garde la tête froide.

Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps
Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps

Les sondages et les dernières élections à Zurich ou à Saint-Gall ont été favorables à votre parti, vous êtes confiant pour cet automne?

Je ne manque pas d’optimisme, et je suis loin d’ouvrir du champagne. Je me contente de prendre de l’Ovomaltine pour conserver la force et l’offrir à tous les membres du parti. Cela ne sert à rien d’être en tête dans les sondages, si cela ne se concrétise pas ensuite dans les urnes.

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La clé pour vous, c’est d’imposer la migration comme le thème principal de ces élections?

Ce sont des éléments conjoncturels que nous ne maîtrisons pas. En 2011, il y a eu Fukushima, puis la migration en 2015 et le climat en 2019. Une migration modérée est clairement une priorité pour nous, tout comme un approvisionnement énergétique sûr et abordable, le pouvoir d’achat, ou la neutralité du pays qui s’est imposée comme un sujet phare de la politique suisse. Auparavant, nous ne parlions de la neutralité que le 1er Août, aujourd’hui nous découvrons que c’est une valeur à sauvegarder.

La neutralité, n’est-ce pas un thème trop philosophique qui ne touche pas directement les gens dans leur vie quotidienne?

Non, la neutralité, c’est la sécurité, la stabilité et la prospérité. C’est une valeur fondamentale pour la Suisse car elle nous permet d’être présents et crédibles sur deux fronts: l’aide humanitaire et les bons offices. Nous devons être une partie de la solution, non du problème.

Le monde évolue, n’est-ce pas normal que la neutralité évolue également?

La neutralité a été triturée par Micheline Calmy-Rey, puis par Ignazio Cassis qui vise une neutralité coopérative et, si on continue comme ça, un jour elle sera supprimée. Nous devons défendre et sauvegarder la neutralité intégrale qui date de 1907 et fait partie du droit international.

Donc selon vous, il ne fallait pas reprendre les sanctions de l’Union européenne?

Il faut reprendre celles de l’ONU, car avec celles de l’UE, nous entrons dans un conflit économique. D’autre part, nous devons assurer le «courant normal», cela signifie que notre pays doit éviter le contournement des mesures coercitives non militaires prises par d’autres Etats.

N’est-ce pas contradictoire d’affirmer qu’il faut reprendre les sanctions onusiennes alors que vous étiez contre l’adhésion à l’ONU et contre la présence suisse au Conseil de sécurité?

Non, nous respectons la démocratie directe. Nous nous battons durant la campagne et si nous perdons, nous respectons ce que les gens ont décidé, contrairement à d’autres partis qui, mauvais perdants, n’appliquent pas les décisions sur l’expulsion des criminels étrangers ou l’immigration de masse. Ce qui me préoccupe, c’est que nous rentrons dans une dynamique de guerre froide. Le monde n’arrive plus à se parler, c’est un problème pour les futures générations. Je suis convaincu que la Suisse a un rôle à jouer pour maintenir une communication ouverte.

Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps
Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps

Vous voulez faire de la migration un thème fort comme en 2015, mais aujourd’hui la situation est différente, il y a un grand manque de main-d’œuvre en Suisse.

Il y a beaucoup trop d’immigrés qui arrivent et ce ne sont pas les bons. Nous n’avons pas une immigration qualitative et complémentaire, mais de masse, qui ne sert pas notre économie mais qui alourdit nos œuvres sociales. Au Tessin, par exemple, les salaires baissent et les résidents souffrent sur le marché du travail car ils sont remplacés par des frontaliers.

La solution ne passerait-elle pas comme en Allemagne par une intégration rapide au marché du travail?

Les 80 000 personnes arrivées chaque année grâce à la libre circulation des personnes devraient suffire à combler les lacunes du marché du travail. Une très forte immigration, comme c’est le cas aujourd’hui, pose d’importants problèmes en termes de logements, de trafic, d’électricité, de train, de formation ou de soins. L’immigration, c’est comme l’eau. Si elle arrose le pré, il devient vert, si elle l’inonde, elle cause des dégâts. Nous ne voulons pas d’une Suisse à 10 millions d’habitants.

Pourquoi?

C’est une question de viabilité, de qualité de vie, nous ne voulons pas devenir le Singapour ou la Hongkong de l’Europe.

Lire également: L’UDC veut externaliser toutes les demandes d’asile

Vous avez été très sévère avec Elisabeth Baume-Schneider en affirmant qu’elle avait perdu le contrôle de la situation, mais elle vient d’être élue.

Elle est aujourd’hui responsable de ce dossier. Le Secrétariat d’Etat aux migrations parle de 40 000 nouvelles demandes d’asile cette année. Il y a une multitude de personnes qui sont acceptées provisoirement, mais qui restent finalement ici pour toujours. Il y a aussi les criminels étrangers qui sont dans nos prisons. Deux cantons, Lucerne et Argovie, ont déclaré l’état d’urgence en matière d’asile. Des citoyens suisses ont été mis à la porte pour laisser la place à des demandeurs d’asile. Nous devons réformer la politique de l’asile pour ne pas revivre ce qui s’est passé en 2015. Je ne veux pas que la gare de Zurich ou celle de Lausanne deviennent comme celle Milan. A Milan, c’est le far west. Les criminels sont les patrons.

L’UDC reste le premier parti du pays, mais il a un problème de relève, on l’a encore vu pour l’élection récente au Conseil fédéral où les bons candidats ne se bousculaient pas au portillon.

Pour le Conseil fédéral, nous avons présenté de très bons candidats. A Saint-Gall, Esther Friedli a réalisé un excellent résultat au premier tour du Conseil des Etats. Très franchement, je n’ai pas l’impression qu’il y ait un problème de relève. N’oublions pas que lors de chaque législature, un tiers du parlement est renouvelé. Moi, je ne cherche pas à être toujours devant, je laisse de l’espace aux autres personnalités du parti. En Suisse romande, il y a du travail à faire. Mais je suis confiant, nous avons par exemple fait du très bon travail en Valais avec l’élection de Franz Ruppen et à Fribourg avec Philippe Demierre.

Habituellement à l’UDC, on préfère les leaders charismatiques

Moi, je suis Tessinois (éclats de rire). Je suis un bâtisseur de pont. Je suis actuellement le seul président de parti avec une origine latine. Etre latin, cela signifie aussi la volonté de trouver un consensus à l’interne. Pour certains, le président de l’UDC doit être nécessairement très dur, je ne suis pas comme cela, je suis à l’aise avec les gens, je bois volontiers un verre de merlot. J’ai du plaisir à parler de politique ou de sport. Je ne suis pas élitiste et je ne veux pas l’être.

Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps
Marco Chiesa à Berne, mars 2023. — © Marco Zanoni / Lunax pour Le Temps

Comment voyez-vous les prochaines élections cantonales, notamment à Genève, au Tessin ou à Lucerne?

Je ne fais jamais de pronostics, ce qui m’incombe, c’est que les sections se mobilisent, qu’elles aillent sur le terrain, à la rencontre des gens. Cela nous avait peut-être manqué il y a quatre ans.

Suivant les résultats des prochaines élections fédérales, Les Vert·e·s pourraient-ils faire leur entrée au Conseil fédéral, par exemple en prenant un siège aux socialistes?

Aujourd’hui, c’est difficile de faire des prévisions. Je dirais que la politique idéologique des Vert·e·s se confronte à la culture pragmatique suisse. On peut bien parler du climat et vouloir prétendument le défendre, mais il faut aussi pouvoir allumer la lumière quand on rentre chez soi et pouvoir payer les factures.

L’UDC jouera un rôle clé dans la composition du prochain Conseil fédéral. Choisir un Vert à la place d’un socialiste, cela ne vous serait-il pas profitable? Vous diviseriez ainsi la gauche?

Nous allons respecter la formule magique avec deux socialistes, deux PLR, deux UDC et un centriste. Cette formule a créé de la stabilité et de la prospérité. Contrairement à d’autres pays, qui ne cessent de changer de gouvernement, nous maintenons une solidité institutionnelle enviable.

Quant à Alain Berset, il devra se retirer au terme de sa présidence?

Ce n’est pas mon style de donner des conseils aux autres, surtout s’ils n’ont pas été demandés. Alain Berset est conseiller fédéral depuis douze ans et est président pour la deuxième fois. Un jour, il dira «basta». C’est sa décision, mais il est bien possible qu’il ne sera plus là lors de la prochaine législature.