Portrait
Dans 48 heures, le multi-entrepreneur Marco Simeoni larguera les amarres pour sa «Race for Water Odyssey», libre comme il ne l’a jamais été. En compagnie du navigateur Stève Ravussin, le millionnaire vaudois, fraîchement affranchi de son entreprise, part «sauver les océans»

Dans 48 heures, le multi-entrepreneur Marco Simeoni larguera les amarres pour sa «Race for Water Odyssey», libre comme il ne l’a jamais été
En compagnie du navigateur Stève Ravussin, le millionnaire vaudois, fraîchement affranchi de son entreprise, part «sauver les océans» pollués par les déchets plastiques
A l’approche de ses 50 ans, Marco Simeoni incarne la figure libérale de l’homme accompli. Après avoir passé vingt ans à fonder et diriger des sociétés, il vend en décembre dernier son entreprise de services informatiques, Veltigroup, à Swisscom: 130 millions de chiffre d’affaires, 380 collaborateurs. Le 15 mars, il mettra les voiles. Son Odyssée est tracée, il naviguera sur 44 000 milles marins, l’équivalent de deux fois le tour de la Terre. Ce sera la plus longue distance parcourue par un bateau à voile en une année. De quoi avouer «une certaine angoisse» au départ, «une certaine excitation aussi». L’homme a toujours cherché à se dépasser, à «sortir de sa zone de confort».
Marco Simeoni nous rencontre quelques jours avant son départ pour Bordeaux, d’où son catamaran prendra le large, gouverné par sept coéquipiers. Cap sur les Açores, puis les Bermudes, New York et le reste du monde. La «Race for Water Odyssey» prévoit que les navigateurs s’arrêtent sur chaque grand vortex de déchets afin de présenter un premier état des lieux global de la pollution des océans par le plastique.
Le teint bronzé, les traits tirés, un brin stressé, le millionnaire vaudois ne s’assied qu’à moitié sur la chaise de son bureau lausannois. Comme s’il devait rapidement s’en aller, comme s’il était déjà en partie loin. «Je suis plutôt d’un profil start-up, analyse Marco Simeoni. J’aime partir d’une feuille blanche et développer une vision. Il ne se passe pas une année sans que je ne crée, c’est dans mon ADN.» L’homme d’action travaille avec passion et détermination et admet être souvent dans le rouge. Il l’avoue, son divorce résulte en grande partie de son manque de disponibilité, mais il «apprend à se connaître à défaut de changer». «Lorsque je suis à fond dans un projet, il n’y a plus beaucoup de place pour autre chose alentour et c’est certainement difficile à vivre pour mes proches.»
Quitter le confort auquel le Lausannois est habitué et les belles voitures qu’il aime conduire, pour manger lyophilisé, vivre dans la rumeur permanente des machines, partager deux couchettes à sept, avec un roulement ne permettant que deux à trois heures de sommeil par nuit durant les 150 jours de navigation… même s’il affiche une carrure robuste, c’est un sacré défi.
Dans le monomythe, la trajectoire classique du héros, telle que l’ont connue Ulysse, Achille et Perceval, commence par un appel à l’aventure. L’élément déclencheur est généralement provoqué par la rencontre d’un mentor. Loin des récits de l’Iliade, l’Odyssée de Marco Simeoni commence, elle, en 2008, dans le bar qu’il détient à Lausanne, lorsque son destin croise celui d’un autre Vaudois, le navigateur Stève Ravussin. Marco Simeoni est étranger au monde nautique mais a le sens des affaires. Ensemble, ils créent la société Multi One Design et Marco Simeoni investit fin 2009 une quinzaine de millions dans la commande de trimarans de la classe des MOD70. Des bateaux longs de 21 mètres, dont la performance rime avec l’élégance de l’architecture. Douze voiliers doivent constituer la flotte du projet unissant les deux nouveaux amis. «Stève avait le rêve de lancer un championnat mondial en monotypes, raconte Marco Simeoni. Nous voulions reproduire le modèle du lac en haute mer, où les skippers sont à armes égales et leur talent seul déterminant.» Parallèlement, la Fondation Race for Water est lancée afin d’ajouter une dimension de développement durable au projet. Le MOD70 en est l’ambassadeur. «Lors de mes plongées ou de mes sorties en voile, j’étais choqué par tous les détritus laissés dans la mer, et je suis convaincu que le sport est le meilleur moyen de sensibiliser la population à une telle prise de conscience environnementale.»
Pas de quête sans épreuve. Dans le schéma actanciel, le héros rencontre des obstacles: soit il les surmonte, soit il échoue. Dans le cas d’une défaite, il se remet en question, apprend à mieux se connaître et c’est peut-être dans ces circonstances que se révèle le véritable objectif de sa mission. «En 2011-2012, la situation économique européenne était extrêmement difficile», se souvient Marco Simeoni. Son regard bleu s’obscurcit alors, comme les cieux soudainement s’assombrissent à l’annonce d’une tempête. «On revenait d’un tour d’Europe avec les premiers bateaux et, assez brutalement, par manque de sponsors pour maintenir le championnat et suite au départ prématuré de certains armateurs, tout s’est arrêté. Je n’ai pas pu poursuivre la construction des cinq derniers multicoques, le tour du monde n’a jamais eu lieu. Ça a été dur à digérer. Il y a eu une période de deuil difficile, mais c’est la vie.»
Le projet, depuis, s’est transformé. Délaissant la vision initiale – réaliser la Race for Water Odyssey sous forme de course –, Marco Simeoni et son équipe vont la faire seuls. Des études d’échantillonnage systématique des vortex se feront en partenariat avec des grandes universités. Le projet s’élève à 2,6 millions de francs, financés en grande partie par son chef d’expédition, Marco Simeoni. L’expédition «Odyssey» est la première phase d’un projet qui comprendra par la suite la mise en place de solutions concrètes de nettoyage et de valorisation des plastiques par le recyclage.
Sur le bateau, Stève Ravussin tiendra la barre, relayé par six coéquipiers de niveaux variés. «Marco rassemble les qualités que l’on attend d’un marin novice, explique le skipper, contacté par téléphone à Lorient. Peu expérimenté, il sait où se trouvent ses compétences, écoute beaucoup et reproduit ce qu’il voit. Un jour de compétition, il a su éviter le chavirage du bateau en réagissant instinctivement comme il le fallait. Sans que l’on ne lui ait appris, il s’est précipité vers la poupe et s’est pendu sur le bord de l’embarcation pour redresser le voilier.»
Comment se déroulera la cohabitation étroite entre l’ancien chef d’entreprise qui, «aussi loin qu’il se rappelle, a toujours eu un petit problème avec l’autorité», et le skipper à qui il doit obéir sur le bateau au doigt et à l’œil?
Après deux décennies passées à la tête d’entreprises, Marco Simeoni a choisi de conclure son demi-siècle en prenant le large. «En naviguant, je ressens une sensation de liberté totale. Je me retrouve face à très peu de réglementations: pas de feux rouges à respecter, pas d’intersections, pas de stop.»
«Je suis convaincu que le sport est le meilleur moyen de pousser la population à une prise de conscience environnementale»