Elle déploie la paume de sa main gauche vers le haut, souffle dessus et relève son visage fatigué. Voilà comment la vie de Marina a été détruite. Une chiquenaude, un claquement de doigts, un dictateur qui décide d’imposer sa Weltanschauung mortifère en dehors de ses frontières et plus rien ne reste, ni travail, ni logement, ni école, ni joie. Il y a une dizaine de jours, cette habitante de Jitomir est montée dans un van à la frontière polono-ukrainienne avec sa mère, son fils et sa nièce. Il a fallu se décider rapidement, le centre d’accueil était plein, ils ne pouvaient pas rester. «La Suisse», a dit le volontaire polonais, «Oui, la Suisse», a répété le prêtre, «C’est un bus pour la Suisse, a confirmé le policier local, il y a juste quatre places, saisissez l’occasion.» La Suisse, un pays où l’on vit bien, c’est sûr, mais Marina ne pensait pas aller aussi loin, il y a la langue, et puis cet inconnu derrière le volant, dieu du ciel, comment lui faire confiance?