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Mario Botta: «Dire stop au mitage, c’est dire oui à la ville»

Le célèbre architecte tessinois a signé avec 300 autres collègues un appel en faveur de l’initiative «Stopper le mitage» contre l'étalement urbain, soumise au vote le 10 février. Ses arguments

Mario Botta pose la première pierre du stade de hockey sur glace Valascia d’Ambri, le 22 décembre dernier à Quinto (TI). — © Samuel Golay, Keystone
Mario Botta pose la première pierre du stade de hockey sur glace Valascia d’Ambri, le 22 décembre dernier à Quinto (TI). — © Samuel Golay, Keystone

Les partisans de l’initiative «Stopper le mitage», sur laquelle on vote le 10 février, ont obtenu le soutien de 300 architectes suisses, qui ont signé un appel en faveur du oui. Mario Botta, sans doute le plus célèbre d’entre eux, explique au Temps sa position.

Le Temps: Pour vous, dire oui à cette initiative est-il si évident?

Mario Botta: Absolument! L’espace dans lequel je vis, au Tessin et en Suisse, est magnifique du point de vue de la géographie, du paysage. C’est l’espace bâti par l’homme qui me pose des problèmes. Quand je regarde ces tristes périphéries, ces non-villes, qui s’étendent de manière diffuse et continue, je suis consterné.

Au fond, en soutenant cette initiative, vous défendez la ville?

Oui, les villes sont un patrimoine de l’humanité, sa plus grande conquête. Aucune autre forme de regroupement humain n’est plus belle, plus courageuse, plus performante. L’identité des villes, qui nous est fournie par l’histoire collective, est même plus forte que celle des nations. Hors des villes, dans le périurbain, vous avez l’anonymat, la banalisation, une qualité du bâti en baisse.

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L’alternative au mitage, c’est la densification. Mais celle-ci suscite beaucoup de résistances…

C’est votre interprétation! Plus de la moitié de l’humanité vit déjà dans les grandes villes, qui ont donc une réelle force d’attraction. Si tout le monde pouvait choisir son lieu de vie en toute liberté, beaucoup choisiraient les centres des villes. Ce sont des territoires de mémoire et d’identité, qui permettent de résister à la banalisation. Ceux qui y sont déjà installés, évidemment, tendent à défendre leur privilège. Mais il ne faut pas s’arrêter à cela. Bâtir sur le bâti, je suis convaincu que ce sera le défi du futur.

Les villes sont en crise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles perdent leur centre et, danger récent, leurs limites

Une des causes du mitage est la mobilité quasiment sans limite que favorise la politique suisse. Faut-il la limiter?

Non, il ne faut pas la freiner. La mobilité, c’est la liberté. Mais utilisons-la intelligemment. Dans nos banlieues, on trouve tous les services, on peut tout acheter. Sauf la beauté de la ville, qui est un élément gratuit… On s’installe aussi en ville pour ne pas rester seul et c’est bien ce que notre société risque de perdre: la joie d’être ensemble. Les villes sont en crise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles perdent leur centre et, danger récent, leurs limites…

Une solution évolutive comme celle de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) ne vaut-elle pas mieux qu’un gel de la surface constructible décidé une fois pour toutes?

Dans le passé, on a bien appliqué à la forêt le principe de protection qui est proposé aujourd’hui pour les zones agricoles. Si l’initiative paraît trop rigide, on pourra la rendre plus flexible dans la loi d’application. Ce sera toujours mieux que la situation actuelle.

La société de consommation entraîne une organisation dégradante de notre espace de vie. L’initiative est une réaction bienvenue à cet égard

La LAT est-elle à ce point inefficace contre l’étalement urbain?

Je ne dis pas qu’elle ne sert à rien, mais elle sert à très peu de choses! Elle n’est pas inspirée par une prise de conscience de ces valeurs collectives, elle ne permet pas de stopper la dispersion de notre espace de vie. La polis antique offrait la possibilité de vivre des droits à l’intérieur d’un bâti. La société de consommation, elle, entraîne une organisation dégradante de notre espace de vie. L’initiative est une réaction bienvenue à cet égard, une manifestation de résistance.

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On sent poindre dans cette initiative une volonté d’en finir avec la croissance, que ce soit celle des zones à bâtir, de l’économie ou de la population. Est-ce cela qui vous touche?

Non, je n’interprète pas cette initiative de cette façon. La croissance, c’est la loi de la vie. Je retiens plutôt son potentiel pour améliorer la qualité. On pense que les architectes bâtissent des maisons, des objets isolés. Mais non, leur but, c’est de mettre en relation avec l’espace alentour. Même quand ils construisent de petites maisons, ils construisent des morceaux de ville.

Contrairement aux signataires de cet appel, les instances officielles des architectes et des urbanistes ont pris position contre l’initiative. Vos professions sont-elles très partagées?

Il y a une division au sein de nos métiers entre ceux qui sont prioritairement soucieux de la qualité et ceux qui tiennent surtout à maintenir un vaste espace pour la construction et les affaires. Nous serons peut-être minoritaires, le 10 février, mais avec cette initiative, nous aurons au moins donné un signal. Le droit à un espace de vie qui nous donne un peu de joie nous engage tous, personne ne peut rester spectateur.

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