Des procédures moins longues, moins coûteuses, plus équitables. La formule utilisée par les services de Simonetta Sommaruga est désormais bien connue pour résumer la révision de la loi sur l'asile soumise au vote le 5 juin prochain. Formule creuse? Le secrétaire d'Etat aux migrations, Mario Gattiker, assure que non. Il détaille les effets de la réforme et promet aux Romands qu'aucun centre fédéral ne sera imposé sans association de la population.

Le Temps: La réforme des procédures d’asile n’est-elle pas déjà dépassée, vu la crise migratoire? 

Mario Gattiker: Non. Le problème de fond reste le même. Nous avons des procédures trop longues et des structures trop lourdes. Pour avoir un système efficace et équitable, nous avons besoin de cette réforme de l’asile. Je dirais même que le défi énorme que représente la crise des réfugiés aujourd’hui la rend encore plus urgente.

– Mais votre concept était prévu pour 24 000 arrivées en moyenne par an. Il y en a eu 40 000 l’an dernier en Suisse...

– Le domaine de l’asile a toujours été soumis à de fortes fluctuations et nous avons prévu des réserves stratégiques lors de l’élaboration du concept en 2011. En cas d’augmentation des demandes d’asile, il faudra peut-être encore accroître les capacités d’hébergement. Mais l’idée de base reste inchangée: la priorité dans les procédures doit aller aux cas Dublin et aux cas permettant un traitement rapide.

– La question de l’expropriation fait peur aux citoyens suisses. L’UDC en a fait un thème de sa campagne. Avez-vous sous-estimé cet aspect au moment de l’élaboration de la loi?

– Non. Il faut savoir que ces «procédures d’approbation des plans» sont standardisées pour tous les domaines de la Confédération où il y a un grand intérêt public. C’est valable pour les routes, l’armée, l’énergie, etc. L’expropriation comme ultima ratio fait certes partie de la réforme, mais personne n’a intérêt à en arriver là. Nous travaillons toujours en étroite collaboration avec les cantons et les communes. Il faut aussi savoir que les procédures d’approbation des plans sont limitées à dix ans, le temps de mettre en place les structures. Ce n’est pas l’anarchie. 

– Pourtant, les communes se montrent divisées sur la réforme, notamment à cause de ce point-là...

– L’association des communes a soutenu la réforme durant la procédure d’élaboration puis de consultation. Mais bien sûr, la situation n’est pas toujours facile, et peut-être que cela se reflète aujourd’hui dans le fait que l’association des communes ne donne pas de mot d’ordre. 

– Le cas d’Oberwil-Lieli, ce village argovien qui préfère payer plutôt que d’accueillir neuf réfugiés, est emblématique d’une résistance contre la politique d’accueil. Craignez-vous que cet exemple fasse tache d’huile?

– Oberwil est un exemple qui fait partie de la réalité suisse, qui est aussi une réalité européenne, mais c’est l’exception et pas la règle. La Confédération, les cantons et les communes sont bien conscients que l’asile est une tâche conjointe.

– Des voix de gauche se dressent aussi contre la réforme. Elles dénoncent un « simulacre d’aide juridique». L’assistance gratuite pour requérants est-elle vraiment impartiale et efficace?

– Il faut tenir compte de toutes les réserves et leur donner des réponses. Le test mené dans le centre pilote de Zurich depuis janvier 2014 montre que les procédures, même considérablement accélérées, restent équitables et correctes grâce aux conseillers juridiques. Ces derniers sont prêts à défendre les intérêts des requérants, mais comme tout avocat, ils ne vont pas non plus accumuler les recours si c’est infondé. J’invite les milieux critiques à observer les choses et à poursuivre le dialogue en cas de problème.

– L’accélération des procédures d’asile n’empêchera pas des requérants déboutés de rester en Suisse, faute d’accords de réadmission avec leur pays d’origine. Que faites-vous face à ce problème?

– Il faut d’abord souligner que les procédures accélérées facilitent l’exécution des renvois. Il est plus facile de renvoyer quelqu’un après 140 jours qu’après des années de procédures, c’est une évidence. Mais il est vrai qu’une expulsion reste difficile dans certains pays: Algérie, Maroc, Ethiopie ou encore Iran. En même temps, la Suisse est conséquente. Par rapport aux renvois Dublin, nous sommes le pays européen le plus efficace grâce notamment au très bon travail des cantons.

– Les tests menés à Zurich ont mis en évidence un taux impressionnant de requérants qui disparaissent dans la nature. Met-on sur pied une usine à sans-papiers?

– Ce phénomène est lié à la migration depuis des années et inévitable. Il ne serait pas raisonnable de mettre un policier à côté de chaque requérant ou de créer un nombre infini de places de détention. Mais il est vrai que nous avons dans notre centre pilote un taux de départs non contrôlés plus élevé que dans les structures ordinaires. Nous devrons peut-être adapter nos pratiques. Cela ne remet toutefois pas en question le concept de la réforme.

– Pour mener à bien ces procédures accélérées, la Confédération a racheté l’Institut de la Gouglera (FR) pour 19 millions de francs. Y a-t-il eu d’autres achats et transactions de ce type en Suisse?

– La Confédération investira en tout environ 550 millions de francs dans de nouvelles structures. Cela semble une somme énorme, mais il faut être conscient du retour sur investissement. Des économies annuelles de 110 millions de francs pour la Confédération et de 90 millions pour les cantons sont attendues.

– Qu’adviendra-t-il de ces lieux en cas de rejet de la réforme?

– La Confédération, les cantons, les villes et les communes ont déjà décidé que la Confédération doit augmenter ses places d’accueil. Ces nouveaux lieux font partie de cette stratégie.

– La réforme prévoit la création d’un centre pour requérants récalcitrants en Suisse romande. On parle de Genève. Où en sont les discussions?

– Les discussions et évaluations sont toujours en cours. Je ne peux donner d’autres informations, ni confirmer des lieux.

– Un centre de renvoi est aussi prévu entre Vaud et le Valais. Où en est-on? Le cantonnement militaire de Dailly, semble ne pas vous convenir et Vallorbe ne veut pas d’un changement d’affectations de son actuel centre d’enregistrement.

– Là encore, nous sommes en train d’évaluer et de discuter et je ne peux pas vous donner d’informations plus précises. Dans certains cas, les discussions durent un peu plus longtemps. Mais il est important de prendre le temps nécessaire pour discuter tous les aspects avec les cantons et les communes. Nous visons dans tous les cas une solution qui bénéficie d’une large assise.

– Mais pour le citoyen, toutes ces inconnues sont pesantes avant un vote...

– La population peut être certaine que l’on parviendra à mettre en place les structures prévues par la réforme. En Suisse romande, il reste quelques options ouvertes, mais je peux garantir que les citoyens seront associés au processus de mise en œuvre comme on l’a fait avec les autres communes avec succès. L’expérience montre qu’il y a souvent des réserves et des résistances au début et que lorsque les structures sont en place, la population les accepte bien.

– En raison de la crise migratoire, les coûts de l’asile pourraient doubler d’ici 2018 pour atteindre 2,4 milliards de francs. Comment y faire face?

– C’est un souci, bien sûr. L’augmentation dépendra de l’évolution du nombre des demandes d’asile mais aussi du taux de protection, plutôt élevé aujourd’hui en raison du profil des personnes qui demandent l’asile chez nous. Mais ces montants montrent aussi que l’on doit tout faire dans les régions de conflit, dans les pays en crise pour éviter que leurs habitants soient contraints à l’exil. Et pour faire des économies dans le domaine de l’asile, encore une fois, la réforme soumise au vote est plus nécessaire que jamais.

– Vous avez établi différents scénarios pour ces prochains mois. Lequel est aujourd’hui le plus d’actualité?

– Nous maintenons le scénario de 40’000 arrivées possibles cette année. Même si en avril, nous avons eu 1748 demandes d’asile, ce qui est peu. Mais la situation est très volatile. Il faut se préparer à tout : c’est ce que la Confédération, les cantons, les communes et les villes ont fait en décidant d’un plan d’urgence.

– Dès le 1er juillet prochain, les citoyens turcs seront dispensés de visas pour voyager dans l’UE. La Suisse est-elle contrainte de reprendre ces dispositions?

– La libéralisation des visas est liée à la solution trouvée entre l’Union européenne et la Turquie par rapport aux réfugiés. Si elle entre en vigueur, cette libéralisation sera valable pour l’ensemble de l’espace Schengen, donc aussi pour la Suisse. Ce qui est important aussi, c’est que nous ayons, comme l’UE, un accord de réadmission avec la Turquie. Nous sommes en train de le négocier. Nous allons conclure probablement ces prochains mois.

– Cet accord de réadmission vaudra pour les citoyens turcs?

– Oui et aussi pour des personnes qui entrent en situation irrégulière en Turquie et sont citoyens de pays tiers, dans le respect de la Convention de Genève.

– Un «Dublin plus», un système d’accueil de réfugiés plus solidaire, va être soumis au Conseil et au Parlement européen. Avantageux ou non pour la Suisse?

– Le Conseil fédéral n’a pas encore traité cette question. Mais la Suisse soutiendra toutes les idées et propositions qui mènent à une Europe plus solidaire avec une répartition des tâches et des responsabilités plus équitables qu’aujourd’hui. Elle réclame une telle évolution depuis des années.

– La famine menace en Ethiopie en raison d’une grave sécheresse. Vous attendez-vous à un flux migratoire de la Corne de l’Afrique?

– Pas forcément, non. L’expérience montre que 90 % des personnes en situation de détresse, que ce soit liée à la famine, la persécution, la guerre, restent dans leur région d’origine. Ces personnes seront sans doute trop faibles pour migrer et parcourir de grandes distances. Cela montre la nécessité absolue d’une aide sur place. La politique d’asile en Suisse doit se trouver au bout de la chaîne. Un monde sans réfugié, où personne ne serait forcé de migrer serait un monde meilleur.


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