Les choeurs d’enfants ont été supprimés, par égard pour la tristesse des paroissiens, tout comme d’autres signes de joie trop ostentatoire. «Il y avait la tristesse, mais aussi la crainte, tant chacun ici a des liens étroits avec des proches en Egypte. Mais ne vous trompez pas: pour nous, Pâques est encore plus gai que Noël. C’est un rite très riant, qui peut surmonter la tristesse.» La dernière Pâque a été triste, quoi qu’en dise Anba Louka, l’évêque copte orthodoxe de Genève et du sud de la France. Les deux attentats qui ont endeuillé en Egypte le Dimanche des Rameaux, revendiqués par l’organisation de l’État islamique, ont résonné jusque dans la petite église copte de Meyrin village, à Genève.

La communauté copte de Suisse romande, que forment quelque 150 familles? «Discrète et un peu effacée», vous répondra-t-on à l’unisson. Mais aussi meurtrie et rendue plus inquiète encore par ces attentats qui viennent alourdir un climat devenu irrespirable pour les Chrétiens dans une bonne partie de l’Egypte.

Saint-Maurice, suisse et copte

A partir de ce vendredi, le pape François entame une visite de deux jours dans le pays, où il rencontrera notamment son alter ego, le pape copte orthodoxe d’Alexandrie Tawadros II. «C’est un geste de paix, un rapprochement humain qui va aider les échanges parfois difficiles entre les deux Eglises», note Mgr Louka. Et si, dans ce contexte, la petite communauté copte de Suisse avait son rôle de trait d’union à jouer?

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Un rappel: les gardes suisses du pape (catholique) ont pour patron saint Maurice, dont le martyre eut lieu il y a 17 siècles, à Agaune, devenu entre-temps Saint-Maurice, en Valais. Or qui était ce Maurice d’Agaune, sinon le commandant de la légion romaine qui venait de Thèbes, c’est-à-dire de l’actuel Louxor? Cette légion – copte – refusa d’obéir aux ordres de l’empereur et de s’en prendre aux Chrétiens locaux comme il l’exigeait. L’empereur les fit exterminer jusqu’au dernier. Ces martyres restent aujourd’hui parmi les plus vénérés au sein de la tradition copte.

En tant que chrétienne, je ne peux même plus me rendre en Haute-Egypte

Fawzia Assaad, écrivaine copte

«Sur un plan humain, cet épisode est aussi beau que rassurant. Ce refus de se battre, cela nous dit que nous ne sommes pas nés pour tuer notre prochain», explique Fawzia Assaad, écrivaine copte née au Caire et qui vit à Genève. Il y a quelques années, avec beaucoup de ses coreligionnaires, elle s’est rendue à l’abbaye de Saint-Maurice pour se pencher sur les restes des légionnaires thébains. «C’était un moment très émouvant. Les descendants venaient saluer les ancêtres. Il s’en dégageait un sentiment de communauté, de faire «un» au-delà des générations.»

Clôtures identitaires

A l’image pourtant de beaucoup de membres de la diaspora, Fawzia Assaad se méfie des «clôtures» identitaires, et des Eglises qui «étendent leurs tentacules». A ses trois enfants, elle a donné des noms arabes musulmans en refusant de puiser dans le répertoire de saints chrétiens. «Il y a en Egypte une ouverture d’esprit nouvelle», affirme-t-elle, du moins dans l’environnement citadin du Caire. Elle rêverait pourtant de créer une école en Haute-Egypte. «Mais c’est tout bonnement impossible aujourd’hui. En tant que chrétienne, je ne peux même plus m’y rendre.»

Venu du grec ancien, le mot «copte» est synonyme d’Egyptien. Et il n’est pas question de considérer autrement ses racines. «Des défenseurs des Chrétiens d’Orient? On n’en a pas besoin», tonne Anba Louka dans son église, en référence aux desseins supposés du pape François. En clair: les coptes sont chez eux en Egypte, et l’évêque voit avec une grande méfiance cette commisération occidentale guidée, croit-il, par de nombreux intérêts politiques. Or la politique n’a qu’un but, tranche-t-il: «Elle sert à falsifier la vérité.»

Islamisation

Il y a quatre ans, beaucoup avaient respiré dans l’église de Meyrin, lors de la destitution de Mohamed Morsi, le président issu des Frères musulmans. «Aujourd’hui, nous respirons un peu mieux», concède Mgr Louka. Mais le souffle reste encore court: «En Egypte, les chrétiens restent soumis à des lois particulières. Ils sont aujourd’hui encore pratiquement inexistants sur le plan politique et n’atteignent que très rarement des postes-clés», rappelle Michael Raouf, qui a passé sa jeunesse au Caire avant de faire des études de pharmacie en Suisse et d’ouvrir son propre établissement à Genève dans les années 90. «L’islamisation de la société» se poursuit en Egypte, malgré l’arrivée du président Abdel Fattah al-Sissi, dit-il, en soulignant combien la pauvreté sert de terreau idéal à la progression des extrémismes.

En Suisse, Michael Raouf est membre d’une association qui délivre des médicaments vitaux à un dispensaire du Caire. «Ce centre est copte, mais il est ouvert à tous», précise le pharmacien. Lors de l’un de ses voyages en Egypte liés à cette activité, l’homme a tenté d’entrer en contact avec certains de ses anciens camarades d’université, musulmans. «A l’époque, nous étions inséparables. Mais ils ne m’ont pas répondu. L’Egypte d’aujourd’hui n’est plus celle que je connaissais.»