Le masque pour les enfants: la mesure qui fâche
Covid-19
Outre-Sarine, l’obligation de porter le masque à l’école primaire s’étend. La mesure, qui vise à endiguer la propagation des variants du covid, se heurte à la résistance de parents et d’enseignants

Kurt Jürg Ebnöther, d’Erlenbach, sur la Goldküste zurichoise, fulmine: «C’est de la maltraitance!» Ce qui suscite l’émoi de ce père? Voir ses jumeaux de 10 ans partir à l’école avec un masque sur le visage. «Je ne suis pas un coronasceptique, tient-il à préciser. J’ai 57 ans et je suis à risque. Jusqu’ici, je me suis montré exemplaire, j’ai suivi chaque recommandation à la lettre. Mais là, c’est la mesure de trop.»
Maintenir les classes ouvertes malgré la propagation de variants du covid plus contagieux: c’est la raison qui a poussé les autorités de plusieurs cantons alémaniques à abaisser l’âge du port obligatoire du masque dans les écoles, non sans susciter des vagues de protestations. Ses détracteurs l’accusent d’entraver la respiration, de créer des maux de tête, de perturber le sommeil, ou encore d’avoir un impact négatif sur l’apprentissage et le développement émotionnel des petits.
Dans plusieurs communes zurichoises, où le port du masque est désormais imposé dès la 4e année primaire (6e HarmoS), soit à des petits de 9-10 ans, plusieurs familles ont décidé de retirer leurs enfants de l’école publique pour poursuivre l’enseignement à la maison – possibilité qui ne nécessite pas d’autorisation particulière dans ce canton. Depuis le 25 janvier, date d’entrée en vigueur du port du masque au primaire, 123 nouveaux élèves (sur 160 000 au total) ont ainsi quitté les bancs de l’école, indique le Département de l’instruction publique.
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Vaud et Genève pas pressés
Des parents et enseignants, soutenus par une dizaine d’élues bourgeoises, comptent envoyer cette semaine une pétition de plus de 3700 signatures au département pour réclamer la fin du port du masque pour les élèves de moins de 12 ans. Pour Yasmine Bourgeois, conseillère communale zurichoise PLR, enseignante au primaire et signataire de ce texte, cette mesure est surtout inutile: «Les enfants se touchent le visage constamment et arrachent leur masque.»
C’est aussi ce qu’affirmait le responsable de la section de gestion de crise de l’Office fédéral de la santé publique, Patrick Mathys, lors d’un point de presse, pas plus tard que la semaine dernière: «Le port du masque, justifié pour les jeunes, n’a pas de sens chez les enfants.» Pourtant, l’obligation du port du masque continue de s’étendre outre-Sarine. Derniers en date, les Grisons ont décidé d’introduire cette mesure aux classes de 5e année primaire (7e HarmoS) dès ce jeudi.
Les autorités scolaires zurichoises justifient la mesure par la hausse du nombre de cas d’infections et de quarantaines dans les écoles du canton au cours des dernières semaines: «Le port obligatoire du masque sert à protéger tous les acteurs de l’école mais aussi les parents. D’après nos expériences, les enfants sont capables de porter correctement un masque avec les conseils appropriés de leurs enseignants», souligne Myriam Ziegler, cheffe du primaire. Il n’y a pas lieu de craindre des dommages, ajoute-t-elle, précisant que le Département de l’instruction publique s’appuie sur l’expertise de l’OFSP, de Pédiatrie Suisse ou encore de l’Hôpital des enfants de Zurich.
Nouvelle recommandation
Signe que le vent a tourné: depuis lundi, l’organisation professionnelle Pédiatrie Suisse recommande le masque obligatoire dès l’école primaire «pour les cantons où la situation épidémiologique l’exige». Jusqu’ici, elle ne jugeait pas nécessaire de l’imposer avant l’âge de 12 ans, dans la mesure où le nombre de cas chez les plus jeunes restait «nettement plus faible».
Mais avec l’arrivée des variants britannique et sud-africain «à transmissibilité accrue», «la dynamique de la pandémie a changé». Le nombre d’écoles poussées à fermer ou à placer des élèves et leurs familles en quarantaine augmente. Or, «l’objectif primordial reste le maintien de l’enseignement présentiel à l’école obligatoire», justifie l’organisation professionnelle des pédiatres, qui juge le port d’un masque chirurgical «inoffensif et, selon un consensus international, sans danger dès l’âge de 2 ans».
Bientôt en Suisse romande?
Le débat sur cette mesure controversée gagne timidement l’ouest du pays. Le Valais et Fribourg «discutent de cette possibilité», alors que Berne a introduit les masques à partir de la 7e HarmoS, indique Samuel Rohrbach, président du Syndicat romand des enseignants et enseignantes. Dans le canton de Vaud, l’extension de l’obligation de porter le masque au primaire n’est pas d’actualité pour l’instant: «Le port efficace n’est pas facile à garantir à cet âge», souligne le médecin cantonal adjoint, Eric Masserey, tout en précisant: «Si c’est une solution pour garder les classes primaires ouvertes en limitant la transmission, nous l’envisagerons également.»
Et à Genève? «Nous réévaluons régulièrement la question», indique la médecin cantonale, Aglaé Tardin. Depuis le 11 janvier, 300 à 400 élèves sur les 50 000 que compte le primaire ont été mis en quarantaine. «Si le nombre de flambées augmente, cela pourrait faire pencher la balance. Mais pour l’instant, l’impact négatif d’une telle mesure sur l’enseignement reste supérieur au bénéfice escompté. La protection apportée par le masque sera de toute façon partielle: les élèves se mélangent forcément sans masque, par exemple lorsqu’ils mangent ensemble au parascolaire.»