Massacre ou accident au Rooftop 42? Les thèses s’affrontent au procès de Genève
Justice
La partie plaignante et le Ministère public estiment que le videur savait très bien que ses coups pouvaient être mortels. La défense conteste toute volonté de faire du mal et demande aux juges d’écarter le meurtre

«Une démolition. Un massacre. La destruction d’un homme tranquille à coups de poing.» Pour Mes Alec Reymond et Alexandra Lopez, conseils des parties plaignantes, il n’y a aucune place pour la fatalité ou la perte de contrôle dans le drame du Rooftop 42. A l’époque de sa gloire et dans sa catégorie, le videur, multiple champion du monde de full contact, fut le plus grand cogneur de la terre. «Il sait très bien qu’il peut tuer et il s’en est accommodé.» Partageant cette analyse d’une violence gratuite et très risquée, la procureure Judith Levy Owczarczack a requis une lourde peine de dix ans contre le prévenu. A la défense, Me Simon Ntah a rétorqué en demandant aux juges de ne pas se laisser aveugler par l’émotion et d’écarter le meurtre.
Grand professionnel
Le second jour du procès de cet agent de sécurité français, véritable légende des sports de combat et «papy» de la sécurité, a vu défiler plusieurs témoins de la scène qui s’est déroulée en bas de ce bar de la rue du Rhône. Des amis du prévenu sont également venus louer l’homme sérieux, sensible et respectueux de ses adversaires. «Ce n’est pas dans sa nature de vouloir faire mal.» Un autre dira: «Pour durer près de quarante ans dans le monde de la nuit, comme il l’a fait, il faut être un grand professionnel qui sait résister aux provocations sans se laisser faire.»
Tant le Ministère public que la partie plaignante ont dépeint un tout autre personnage. Colérique, agressif, voire même dangereux. Un homme déjà condamné pour avoir frappé le client d’un autre restaurant branché et connu pour avoir intimidé ou terrorisé plusieurs personnes qui l’avaient contrarié. De provocation, la procureure n’en discerne aucune de sérieuse de la part de la victime qui s’est faite expulser sans en comprendre les raisons. Ce jeune quadragénaire, employé dans une multinationale et père de deux adolescentes, a rendu une gifle et proféré des insultes. Rien qui puisse expliquer «la rafale de coups».
Agression gratuite
Selon l’accusation, le videur, vexé et énervé, a poussé ce client hors de l’ascenseur, l’a acculé contre la paroi, a écarté ses collègues qui voulaient s’interposer, a bombé le torse avant de donner l’assaut final avec un coup de boule et trois coups de poing. Deux dans la tête et un dans le ventre. Il a ensuite mis sa main sur l’épaule de la victime, sonnée, qui est tombée comme une masse. Son crâne a fracassé le sol en marbre dans un bruit assourdissant. Les images de vidéosurveillance, film muet de «cette agression sauvage et gratuite», montrent la rapidité et la précision des gestes. «Je lui ai mis une bonne barre dans la gueule pour qu’il me respecte», a dit le prévenu lors de l’enquête.
«Lui, le combattant aguerri, sait que sa frappe est lourde et que ses poings sont comme des armes», a soutenu la procureure. La victime n’avait aucune chance de s’en sortir et rien n’était imprévisible dans ce scénario dramatique. Sans les soins massifs prodigués à l’hôpital, le client serait mort bien plus tôt. Il a passé neuf mois dans un coma douloureux avant de décéder dans des conditions effroyables lorsque l’équipe médicale a arrêté de le nourrir et de l’hydrater. Le Ministère public estime enfin que le prévenu a agi de sang-froid, gratuitement, et n’a jamais pris conscience de la gravité de ses excès. De quoi lui infliger une lourde peine.
Déjà assez puni
«S’il avait voulu vraiment faire mal, il aurait utilisé son bras droit», a enchaîné la défense en contestant toute intention maléfique, en plaidant les lésions corporelles simples et en se rapportant sur l’homicide par négligence. La scène, décrite autrement par Me Ntah, évoque un client beaucoup plus agité, persistant dans l’injure et l’invective.
Le prévenu a pété les plombs, il voulait le faire taire mais certainement pas l’envoyer à l’hôpital. La preuve, à chaque fois que la victime est tombée à terre, il n’a pas frappé. D’ailleurs, soutient encore l’avocat, le Tribunal fédéral n’a jamais retenu le meurtre pour des coups de poing donné à un homme debout. Au final, la défense estime que le prévenu a déjà assez payé avec les seize mois passés en détention provisoire. Le Tribunal dira jeudi ce qu’il en pense.
Lire aussi: A Genève, le procès du videur trop brutal du Rooftop 42