Investissements
Les caisses de pension et la BNS ne devraient plus pouvoir investir dans du matériel de guerre, prône une initiative. Malgré l’opposition du Conseil fédéral, les experts jugent cette proposition raisonnable

Le Conseil national entame ce mercredi des débats qui devraient faire couler beaucoup d’encre. Leur objet? L’initiative «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre». Combattue par le Conseil fédéral, la proposition initialement lancée par le Groupe pour une Suisse sans armée et les jeunes Verts demande que la Banque nationale suisse (BNS) et les fondations et institutions de prévoyance publique et professionnelle cessent d’investir dans les entreprises dont plus de 5% du chiffre d’affaires annuel provient de la production de matériel de guerre. Hautement sensible, la question s’inscrit dans une période particulièrement polémique pour l’industrie suisse de l’armement.
Mettre un terme aux revirements idéologiques
Revenons en arrière. En juin 2018, le Conseil fédéral annonçait vouloir autoriser la livraison d’armes aux pays en proie à un conflit interne. Jusque-là interdite, la nouvelle pratique est nécessaire pour le bien de la branche, défend l’exécutif. Il promet cependant de veiller au grain pour éviter que la marchandise en question ne tombe en de mauvaises mains. Mauvais timing: en septembre, le SonntagsBlick révèle la présence de grenades helvétiques en Syrie et, le même mois, le Contrôle fédéral des finances révèle que «des transactions d’armes non autorisées depuis la Suisse se font quand même via des pays intermédiaires». La polémique s’enflamme, le parlement se soulève et le Conseil fédéral fait machine arrière. Une initiative «de correction» a cependant abouti entre-temps pour interdire la vente d’armes aux pays en conflit interne, international ou qui violent «gravement et systématiquement» les droits humains.
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Celle-ci a rejoint un autre texte sur l’étagère touffue des propositions pacifiques: «contre le commerce de guerre» – au programme ce mercredi. Son but? Que la population puisse «enfin décider comment son argent doit être investi». Sous-entendu, pas dans des armes qui se retrouvent là où elles ne devraient pas. Opposé à cette fronde populaire, le Conseil fédéral estime que la proposition «remettrait en question la place financière suisse». Le gouvernement est cependant mal servi par ses propres statistiques.
Début mars, le Secrétariat d’Etat à l’économie rapportait en effet une augmentation de 43% sur les ventes de matériel de guerre à l’étranger par rapport à 2019. Des chiffres impressionnants notamment liés à des ventes réalisées au Danemark, en Allemagne et en Roumanie mais aussi au Bangladesh (55 millions de francs), pays sujet à «des tensions politiques et sociales élevées», selon le site du Département fédéral des affaires étrangères. Or, la Suisse investit également dans la coopération au développement sur place. Un non-sens, selon les initiants, qui estiment désormais nécessaire d’agir pour que les Suisses arrêtent de financer à la fois les conflits et les réseaux diplomatiques.
«Pas une contrainte insurmontable»
Les spécialistes de fonds de pension reconnaissent en outre que les demandes des initiants sont plutôt raisonnables. «Ça ne rendrait pas la vie des responsables de caisse impossible», estime Graziano Lusenti, conseiller indépendant en placement pour des investisseurs institutionnels. «La situation serait totalement différente aux Etats-Unis où les fabricants d’armes ont pignon sur rue, poursuit-il. Mais en Suisse ces derniers ne représentent qu’un pour cent du PIB. La règle des 5% constitue par ailleurs un standard courant utilisé par bon nombre d’institutions désireuses de suivre les critères éthiques ESG (environnement, société, gouvernance).
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Jusque-là, chacun fait toutefois comme il l’entend. Interdire est une manière de mettre en œuvre ces préceptes de manière uniforme pour tous.» Première instance saisie du dossier, la Commission de politique de sécurité du Conseil national a cependant considéré que ce n’était pas la bonne, puisqu’elle a recommandé le rejet de l’initiative sans contre-projet. Selon celle-ci, «la Suisse dispose déjà d’une interdiction de financement des armes nucléaires, biologiques et chimiques et des armes à sous-munitions et autres mines antipersonnel qui a fait ses preuves».