«Je déplore qu’on déprécie la main-d’œuvre locale»
Questions à
La réplique du conseiller d’Etat ne s’est pas fait attendre. Dans notre édition de mercredi, quatre entreprises genevoises ont accepté de communiquer le nombre de frontaliers qu’elles emploient, en réponse au Mouvement citoyens genevois (MCG) qui a lancé le slogan de campagne populiste «zéro frontalier». Pour expliquer l’embauche de frontaliers, ces sociétés invoquaient notamment le manque de main-d’œuvre qualifiée locale. Irrecevable, pour Mauro Poggia.
Le Temps: Pourquoi êtes-vous courroucé?
Mauro Poggia: Cet article m’a beaucoup énervé, même si je salue le courage dont ces entreprises ont fait preuve en étant transparentes. En lisant leurs explications sur la prétendue pénurie de main-d’œuvre, j’en ai déduit qu’elles avaient cherché des candidats parmi les chômeurs du canton. J’ai donc vérifié, et voici ce que l’Office cantonal de l’emploi m’a appris: depuis 2013, seul Bongénie l’a contacté pour annoncer cinq postes, mais cela n’a débouché sur aucun engagement. Alors oui, j’ai un goût amer, car elles n’ont même pas donné une chance aux chômeurs genevois.
– C’est sans doute par inadéquation entre les profils des chômeurs et les places vacantes, comme l’explique le vice-recteur de l’Université de Genève Yves Flückiger!
– Justement, son analyse m’a encore plus fâché. Car si je peux comprendre que le secteur privé ne travaille que pour ses intérêts, je déplore que le futur recteur de notre Université vienne déprécier la main-d’œuvre locale, en affirmant que seuls 10% des résidents en recherche d’emploi pourraient remplacer les frontaliers en emploi. Je veux bien que ce soit le cas dans certains secteurs comme la santé, l’horlogerie ou la microtechnique, mais pas partout! Je conteste la valeur scientifique de cette étude qui est insultante pour les demandeurs d’emploi et contribue au malaise social.
– Qu’est-ce qui pousserait ces entreprises à engager des frontaliers, avec les difficultés de déplacement, d’intégration et les tracas administratifs que l’on sait?
– Le salaire! Car ils pratiquent un dumping de compétences: ils achètent les compétences de frontaliers confirmés au prix où ils paieraient des jeunes sortant de l’école. C’est parfaitement légal et ça ne fait pas d’eux des profiteurs pour autant, mais ils devraient admettre que c’est une politique d’entreprise délibérée.
– N’est-ce pas plutôt votre politique de réinsertion qui a échoué?
– Elle n’est pas encore à vitesse de croisière. Mais on a fait de gros progrès. Notre service employeurs prend déjà contact avec les grandes entreprises pour les encourager à nous communiquer leurs places vacantes. Nous allons encore intensifier ces démarches.
– N’êtes-vous pas otage de votre parti?
– Non. Je ne dis pas que le MCG a raison avec son slogan de campagne «zéro frontalier». Mais le combattre avec des exemples à l’autre extrême n’est pas la bonne solution. Si l’économie genevoise doit pouvoir aller chercher des forces là où elles se trouvent, les demandeurs d’emploi doivent savoir qu’on fait tout ce qu’on peut pour eux.