«Pour me protéger, j’ai décidé de ne plus voir mes petits-enfants»
Virus
Partout, face à la pandémie, des grands-parents prennent la difficile décision d’arrêter de côtoyer leurs petits-enfants, vecteurs de virus. Pour le médecin de famille, il s’agit de pondérer au cas par cas

«Je ne suis pas malade, pourquoi je ne peux plus voir grand-papa? Il me fait rire.» Pour le petit Albert, 4 ans et demi, difficile de comprendre l’éloignement soudain de son grand-père. C’est ce dernier qui en a décidé ainsi, après mûre réflexion, par mesure de précaution. Philippe Nordmann a 76 ans et six petits-enfants, dont quatre en bas âge.
«Mes enfants se font du souci pour moi. Je suis en bonne santé, mais à mon âge je fais partie des personnes à risque, admet-il. La décision d’éviter le contact direct avec mes petits-enfants en bas âge n’a pas été facile à prendre, je me suis entre autres basé sur les recommandations du médecin cantonal. Nous n’avons dorénavant plus de contrôle sur les chaînes de transmission du virus, il s’agit de ralentir la contamination, et je suis prêt à subir ces mesures d’éloignement jusqu’à cet été s’il le faut.»
Lire aussi l'interview de Tristan Gratier: «Isoler complètement les personnes âgées pourrait avoir des répercussions dramatiques»
Prendre la pandémie au sérieux
Afin de soulager les enfants, sa femme de sept ans de moins que lui continue, elle, de s’occuper des petits de temps à autre, à leurs domiciles, en respectant les recommandations d’hygiène et de distance. La question que le couple se disjoigne un moment s’est posée, mais tous deux ne le voulaient pas. Autour de lui, Philippe Nordmann observe à regret que ses contemporains ne prennent pas la pandémie assez au sérieux.
«Je déplore que, dans le grand public, beaucoup parlent encore d’exagération et d’alarmisme inutile. Parmi les amis de mon âge, je suis pour l’instant le seul à prendre de telles mesures de précaution par rapport à mes petits-enfants. Chacun a sa propre appréciation du danger, mais ils ne me paraissent pas suffisamment conscients de la réalité du risque. J’ai toute confiance dans le système de santé suisse, mais la surcharge des hôpitaux est le plus gros problème auquel nous aurons à faire face.»
À (re)découvrir: Les grands-parents, la plus grande garderie de Suisse
Le discours cadre face à la pondération du médecin de famille
Le médecin de famille Luc Avigdor salue les mesures de précaution de ce grand-père, tout en rappelant que «chaque cas est individuel: les mesures qui valent pour vous ne valent pas pour votre voisin».
Le discours du médecin cantonal vaudois est clair: les personnes dites «à risque» – soit de 65 ans et plus – doivent éviter le contact non nécessaire avec les petits-enfants. «Le rôle du médecin cantonal est de donner un cadre; celui du médecin de famille, au front, est de proposer au patient une pondération des risques.» Le docteur reçoit toute la journée des personnes inquiètes de leur situation personnelle dans son cabinet. Il évalue avec elles l’équilibre juste entre l’organisation familiale de la garde des petits-enfants et la préservation de la santé des grands-parents. «Il m’arrive de dire à une grand-mère: «Vous êtes asthmatique ou cardiaque, vous ne gardez plus vos petits-enfants jusqu’à nouvel ordre.» Comme je peux en rassurer une autre: «Vous n’avez aucune raison de vous priver de ces contacts, tant que vous jouez la carte de la précaution.» Je leur demande d’arrêter les câlins, de se saluer avec les pieds.» Il appelle toutes les personnes préoccupées à consulter leur médecin de famille pour déterminer une pondération des risques.