Les médecines alternatives à l’hôpital

Santé Le CHUV joue un rôle pionnier pour la reconnaissance des médecines doucesen Suisse romande

La volontéde les intégrer dansles services suscite des résistances

Le remboursement désormais garanti

C’est un débat qui a parfois des accents de guerre de religion. Malgré leur entrée dans la Constitution fédérale grâce à un large soutien populaire, en mai 2009, les médecines complémentaires (MC) continuent à diviser. Leur intégration au CHUV, à Lausanne, suscite des résistances. Pour certains médecins, «les croyances ésotériques» et autres «poudres de perlimpinpin» n’ont rien à faire à l’hôpital tant que leur efficacité n’a pas été démontrée scientifiquement. Le débat est particulièrement vif en France. Une mission interministérielle a mis en garde cette année contre les risques «de dérive sectaire», notamment dans le traitement des cancers.

En Suisse, la question a connu une avancée qui est passée quasiment inaperçue. Le 2 mai dernier, le conseiller fédéral Alain Berset a indiqué par communiqué qu’il plaçait quatre médecines complémentaires «au même niveau que les autres disciplines médicales»: la médecine anthroposophique, la médecine traditionnelle chinoise/acupuncture, l’homéopathie et la phytothérapie. Cette décision inverse le fardeau de la preuve: les MC n’ont plus à démonter leur efficience scientifique. Avec l’introduction du «principe de confiance», c’est désormais à un éventuel plaignant – par exemple une assurance maladie – de démontrer leur inefficacité.

L’épisode marque la fin d’un long feuilleton. Intégrées dans l’assurance de base en 1999 puis retirées en 2005 par Pascal Couchepin, les médecines alternatives ont été réintégrées début 2012 pour une période transitoire de 6 ans – un délai désormais levé. Reste une étape importante: le Département fédéral de l’intérieur présentera le printemps prochain un rapport qui détaillera la mise en œuvre du vote constitutionnel de 2009.

Le CHUV n’a pas attendu la partition fédérale pour mettre la volonté populaire en musique. Un groupe de recherche et d’enseignement sur les médecines complémentaires a été mis en place en 2010. Il a été renommé cette année Centre de médecine intégrative et complémentaire, avec des prérogatives élargies. Spécialiste en médecine interne générale FMH et homéopathe, le Dr Pierre-Yves Rodondi y consacre 40% de son temps: «L’objectif est de développer l’information sur les médecines complémentaires et de réfléchir dans quelle mesure certaines disciplines pourraient être intégrées dans le système conventionnel dans l’intérêt du patient, comme cela se fait aux Etats-Unis.»

Dans le cadre de son mandat, Pierre-Yves Rodondi s’est rendu à l’Université d’Arizona pour suivre une formation de «médecine intégrative» dispensée notamment par le Dr Andrew Weil. Un voyage qui n’a pas plu à certains médecins du CHUV. Sous couvert d’anonymat, ils craignent que les méthodes du médecin américain, parfois décrit comme un gourou, n’essaiment au bord du Léman. Un dessein qui serait favorisé «par l’engagement pour la cause» de plusieurs personnalités politiques de premier plan, dont le conseiller aux Etats Luc Recordon.

La critique fait sourire Pierre-Yves Rodondi. «Ces peurs n’ont pas de raison d’être. Le Dr Weil donne 2 heures d’enseignement sur les 1000 heures du cursus. Et il n’enseigne aucune méthode à part de manger sainement et de bien respirer. Il ne s’agit pas d’ouvrir la boîte de Pandore au CHUV. Toute demande d’introduction d’une médecine complémentaire fera l’objet d’une analyse détaillée des besoins de l’institution sur la base de données scientifiques. Nous avons fait une étude qui montre que 50% des hôpitaux romands offrent déjà au moins une médecine complémentaire, souvent par la bande. Il faut coordonner l’offre.»

Des disciplines répandues comme l’ostéopathie ne sont pas remboursées par l’assurance de base. Un constat qui appelle toute une série de questions. Pourquoi se limiter à quatre disciplines, et sur quels critères? Pourquoi sont-elles les seules à faire l’objet de formations officielles reconnues par la FMH, alors qu’elles ne sont ni les plus répandues, ni les plus efficaces au sens scientifique du terme? La réponse est avant tout politique. «La question du remboursement de l’ostéopathie par l’assurance de base devrait être sérieusement discutée», estime le Dr Rodondi.

Ce choix arbitraire amplifie les critiques contre le remboursement de l’homéopathie, une des médecines non conventionnelles les plus controversées. Pierre-Yves Rodondi assure qu’il n’a pas de parti pris en faveur de sa discipline. «Il n’est pas à l’ordre du jour de l’introduire au CHUV, d’autres disciplines offrent de meilleures perspectives dans l’immédiat.»

Le médecin défend le remboursement de certaines MC par l’assurance de base. «Il faut bien sûr que des études cliniques démontrent une efficacité supérieure à celle d’un placébo. Il existe de nombreuses études qui montrent un effet positif, comme par exemple l’hypnose et l’acupuncture, pour lutter contre les douleurs chroniques. L’homéopathie montre des résultats intéressants pour des patients souffrant de fibromyalgie. La recherche doit mener à offrir les meilleurs soins aux patients, même si, parfois, le mécanisme d’action n’est pas connu, comme c’est le cas également en médecine conventionnelle.»

Pour dépasser la méfiance à l’encontre des MC, Pierre-Yves Rodondi insiste sur la nécessité de mettre à la disposition des professionnels de la santé les données cliniques existantes. Il estime que du chemin a été parcouru en dix ans. «Les jeunes médecins sont plus ouverts que leurs aînés. Au CHUV, nous avons mené une étude auprès du personnel médical. 97% des infirmiers et 93% des médecins se sont dits ouverts aux médecines complémentaires.» Avec un bémol: seuls 25% des personnes sollicitées ont répondu à l’enquête.

L’intégration se fera en fonction de la demande des services du CHUV. Une doctoresse anesthésiste spécialisée en acupuncture travaille au centre de la douleur. Un projet pilote appelé à faire des émules même si la direction générale précise qu’elle fera «très attention à ne rien imposer» aux services. La situation est très différente à Genève: aucune structure ad hoc n’existe sur les MC aux HUG. Mais elles sont bien présentes dans l’institution, comme le montre l’essor de la méditation de «pleine conscience» dans le département de psychiatrie.

«50% des hôpitaux romands offrent déjà au moins une médecine complémentaire, souvent par la bande. Il faut coordonner l’offre»