Le Conseil fédéral entrouvre la porte aux organismes génétiquement modifiés (OGM) en Suisse. Il entend autoriser ce type de culture dans des zones spécifiques. Communiqué fin juin 2016, ce projet va à l’encontre de la politique agricole de plusieurs cantons. Si bien que le conflit est programmé, surtout en Suisse romande.

Les consommateurs helvétiques ne veulent pas d’OGM dans leur assiette et les agriculteurs le savent. Raison pour laquelle, dans la perspective de la fin du moratoire au niveau fédéral, plusieurs cantons ont pris les devants. Le Tessin, Fribourg, Genève, Vaud, Berne et le Jura ont introduit une interdiction des OGM dans leur législation. Près de 100 communes se sont également déclarées «sans OGM».

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Reste que tout le monde sera logé à la même enseigne lorsque des zones avec OGM seront définies. Car il s’agit d’une compétence fédérale, et elle prime sur celle des autres. Aujourd’hui déjà, l’interdiction des OGM dans certains cantons et communes a une valeur plus déclarative que légale.

«Un sacré bazar»

«Mais il faudra s’attendre à une profonde zizanie. Un agriculteur biologique n’acceptera jamais ce voisinage», estime l’écologiste Fernand Cuche. L’ancien conseiller national et conseiller d’Etat neuchâtelois craint de grandes tensions à l’intérieur du monde paysan. «Ce sera un sacré bazar», enchaîne la députée vaudoise Martine Meldem. Secrétaire exécutif de l’organisation StopOGM, Luigi D’Andrea avertit déjà: «Nous ferons barrage à ce projet mais si malgré tout il se concrétise, il y aura comme en France des faucheurs volontaires».

Vouloir introduire des OGM en Suisse est plus qu’une aberration vu la taille du territoire.

La conseillère d’Etat fribourgeoise Marie Garnier, en charge de ce dossier, est également dubitative. Le débat ne fait que commencer mais la Verte imagine d’ores et déjà qu’il y aura une forte opposition des cantons, d’autant plus si ces zones devaient dépasser en taille la surface aujourd’hui consacrée aux essais OGM en plein champ.

Pour les opposants, il en va de la coexistence des cultures, mais pas seulement. «Vouloir introduire des OGM en Suisse est plus qu’une aberration vu la taille du territoire. Et on ne peut pas d’un côté promouvoir la biodiversité, les labels de qualité ou encore lancer un plan d’actions contre les pesticides et de l’autre côté tolérer les semences génétiques», poursuit Martine Meldem, qui déplore le pouvoir des lobbies de l’agrochimie.

Après 2021

Le Conseil fédéral avance cependant à pas feutrés. Il propose dans un premier temps de prolonger le moratoire jusqu’en 2021. Une période qu’il entend mettre à profit pour un débat approfondi sur la question. Concrètement son projet prévoit que les zones seraient définies à la demande d’agriculteurs voulant cultiver des variétés d’OGM sous une entité commune, dans une filière de production surveillée, spécialisée et séparée.

Le Conseil fédéral entend cependant «consulter» les cantons avant de délivrer une autorisation. Luigi D’Andrea imagine mal la Confédération passer outre cet avis et imposer une zone OGM à un canton qui n’en veut pas, même si elle le pourrait. Autre écueil: une telle décision ferait vraisemblablement l’objet de recours devant le Tribunal administratif fédéral.

Ce n’est donc pas demain qu’il y aura une culture OGM en Suisse. Surtout que la loi, qui devra encore être approuvée par le parlement, sera soumise au référendum facultatif. Pour Fernand Cuche, «le terrain est miné d’avance».

Certes, les OGM ne sont actuellement pas en odeur de sainteté. Mais pour le Conseil fédéral, il s’agit de préparer un modèle de coexistence si le développement de variétés devait présenter un intérêt pour la Suisse. Les mentalités pourraient dès lors également changer.

Le Conseil fédéral considère également qu’une interdiction à long terme est inconstitutionnelle et contreviendrait aux obligations du pays en matière de droit commercial international. En gros, il veut s’éviter les critiques de membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Etats-Unis en tête, et une éventuelle plainte contre la Suisse. Il a de son côté les milieux économiques, défenseurs de la liberté de commerce, et les milieux scientifiques, qui craignent les entraves à la recherche et au développement de nouvelles technologies.