épidémie
Dans tous les cantons, les tribunaux se limiteront aux tâches impératives. A Genève, l’établissement surpeuplé de Champ-Dollon suscite une inquiétude particulière mais aucune mesure énergique n’est prise pour réduire la pression et la promiscuité

La crise sanitaire déferle aussi sur la justice et fait craindre le pire dans les prisons. L’évolution de la situation a contraint les tribunaux de différents cantons à prendre des mesures de plus en plus restrictives pour la tenue des audiences. Fait rarissime, le procureur général genevois Olivier Jornot s’est joint à une conférence de presse du gouvernement pour expliquer à quel point l’exercice est délicat s’agissant d’un domaine qui touche à la protection et aux droits de la population. Sans oublier que le canton héberge aussi Champ-Dollon, l’établissement pénitentiaire le plus bondé du pays, là où les personnes sont particulièrement vulnérables, dépendantes de l’Etat et où le maintien d’une distance sociale reste un vœu pieux.
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Priorisation délicate
Depuis la semaine dernière, nombre de tribunaux cantonaux, de même que le Tribunal pénal fédéral, annonçaient des accès limités aux procès et aux locaux, des contrôles de température et des reports pour certaines audiences. L’état de nécessité décrété en lien avec la propagation du virus a entraîné une montée en puissance du dispositif. Les justices vaudoise et valaisanne ont aussi annoncé lundi un recentrage sur les tâches prioritaires. «Ce plan implique une réduction aux tâches impératives», a précisé Olivier Jornot, en sa qualité de président de la Commission de gestion, tout en soulignant d’emblée que l’exercice d’identification est difficile et dépendra de chaque juridiction.
A titre d’exemple, le magistrat rappelle que certaines tâches ne peuvent pas être supprimées et que des délais doivent être respectés. On pense aux contrôles de la détention ou aux mesures urgentes prises dans les conflits familiaux, les séquestres, les placements à des fins d’assistance ou encore les violences domestiques. Au niveau de son personnel, le pouvoir judiciaire compte ordonner le maintien ou le retour à domicile de tous ceux dont la présence n’est pas indispensable avec l’activation d’un travail à distance.
Reports en masse
Fermeture des guichets, dépôt d’actes réduit au strict minimum, c’est un grand gel qui s’annonce. «Il faut mesurer à quel point cela va rendre difficile l’exercice de la justice. Il y aura un fort ralentissement. J’en appelle à la compréhension des justiciables et des avocats», a conclu Olivier Jornot. De son côté, le bâtonnier Lionel Halpérin a pris la plume ce lundi pour exprimer l’inquiétude de la profession. Certaines études vont devoir prendre des mesures drastiques. L’accès au courrier risque d’être compromis et le respect des délais légaux ou le déplacement à une audience vont se transformer en casse-tête.
«Il faut mesurer à quel point cela va rendre difficile l’exercice de la justice. Il y aura un fort ralentissement»
Dans ce contexte de crise, les demandes vont dans les deux sens. La présidente du Tribunal pénal genevois prie les avocats de privilégier les observations écrites et de renoncer autant que possible à la tenue d’une audience s’agissant des prolongations de détention. De même, la très grande majorité des procès déjà fixés seront annulés si le prévenu n’est pas détenu.
Appel des avocats
Le sort des détenus, justement, demeure un point très sensible. Me Catherine Hohl-Chirazi, présidente de la Commission pénale de l’Ordre des avocats, a déjà interpellé les autorités judiciaires et policières afin de tirer la sonnette d’alarme. L’avocate demande notamment que les auditions qui suivent les arrestations ne soient plus menées dans des salles minuscules et sans fenêtre. Elle réclame aussi des mesures de distance pour toutes les parties lors des audiences au Ministère public afin de protéger les prévenus et leurs conseils.
«C’est d’autant plus pressant que ces situations non conformes augmentent massivement le risque de propagation à Champ-Dollon. Si l’épidémie devait flamber à l’intérieur de la prison, compte tenu de la surpopulation dans les cellules, elle aurait des conséquences dramatiques», ajoute Me Hohl-Chirazi. L’avocate n’y va pas par quatre chemins: «Il faut maîtriser le nombre de personnes détenues et renoncer à toute privation de liberté non absolument indispensable de sorte à gagner des mètres carrés et éviter autant que possible ce confinement extrême.»
Bombe à retardement
Aujourd’hui, Champ-Dollon dénombrait 657 détenus pour 398 places. Autant dire une bombe à retardement. Des prises de température sont pratiquées lors de toute entrée ou visite et un quartier spécifique a été créé pour les arrivants. «Heureusement, il n’y a pas eu de contamination à ce jour», a précisé Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé de la Sécurité, lors de la même conférence de presse. Ce n’est sans doute qu’une question de temps et la situation préoccupe aussi le personnel pénitentiaire. «Il n’y aura pas de libération pour alléger le nombre mais on espère que les mises en détention se feront avec le plus de retenue possible», a ajouté le ministre.
Lever le pied sur la répression, éviter l’incarcération, voire vider le trop-plein de la prison? Il aura fallu le Covid-19 pour que cette dernière perspective devienne réalité dans des contrées ultra-répressives. L’Iran a ainsi libéré 70 000 détenus dans sa lutte contre l’épidémie. A Genève, on en est encore loin. L’heure est aux «mesurettes» destinées, par exemple, à retarder les entrées de ceux dont les jours-amendes ont été convertis en privation de liberté. Au niveau du Ministère public, décision a tout de même été prise, lundi après-midi, de réduire l'effectif de la permanence des arrestations, ce qui aura pour effet de passer un message de modération aux forces de l'ordre et de limiter le flux des candidats à un séjour carcéral . Pour Me Hohl-Chirazi, tout cela est insuffisant: «Il faut se montrer plus énergique, raisonnable et humaniste.» A voir si policiers, procureurs, juges et service d’application des peines entendront cet appel.