«On me reproche d’être trop à gauche. Mais qu’est-ce que cela veut dire?» glisse Ueli Leuenberger, avec ce léger accent bernois qui ne l’a jamais quitté depuis son arrivée à Genève en 1972. «Je suis un homme de gauche, oui. Mais, contrairement à ce que l’on pense, je ne suis pas dogmatique», se défend le président des Verts suisses, que les écologistes reconduiront samedi à la tête du parti, malgré les tensions internes.
D’ailleurs, le député de 58 ans refuse catégoriquement le qualificatif de «vert pastèque» – écolo à l’extérieur, rouge à l’intérieur – qui lui colle à la peau. «Je suis un rouge qui a mûri pour devenir vert», corrige-t-il. A 16 ans, Ueli Leuenberger adhère au PS. Dans les années 1970, le cuisinier, devenu ouvrier en métallurgie, puis syndicaliste tendance maoïste, figure parmi les sympathisants d’un groupuscule marxiste-léniniste sur lequel il ne veut pas s’étendre.
«C’est vrai, j’ai été sympathisant d’un tel groupuscule. Comme le furent David Hiler (ndlr: aujourd’hui ministre genevois des Finances) ou l’un ou l’autre haut fonctionnaire à Berne… A l’époque, le monde était scindé en deux blocs. Les Etats-Unis et l’URSS pouvaient déclencher une guerre nucléaire à tout moment. Il y avait le régime des colonels en Grèce, le Portugal de Salazar, l’Espagne de Franco…»
Selon certains de ses camarades ou adversaires politiques, Ueli Leuenberger entretiendrait toujours la culture du rapport de force chère à l’extrême gauche. Au sein de ses troupes, on lui reproche parfois de ne pas laisser de place à la contestation. Les observateurs ajoutent qu’Ueli Leuenberger, qui s’était notamment emporté contre le journaliste Pascal Décaillet, auteur d’un billet intitulé «Ueli le climatique», apprécie peu les critiques. «C’est faux. Je ne renie pas mon passé, mais je suis vacciné contre le sectarisme», coupe le député. L’écologiste genevois, qui a pris la tête d’une formation nationale peu organisée en 2008, a d’ailleurs réussi à recentrer les différents courants verts et à professionnaliser le parti.
A quel moment de son parcours personnel s’est produite la mue écologiste? Le parti des Verts n’existait pas encore, mais les prémices étaient déjà là, sourit le député. «Je suis originaire du village bernois d’Oberoenz, à 3 km de Graben, où le lobby nucléaire voulait construire une centrale dans les années 1970.» Voilà qui marque les esprits, dit-il, au point que la lutte contre le nucléaire est restée une préoccupation très présente chez lui.
Plus tard, ouvrier dans la métallurgie, le Genevois d’adoption se bat pour «une meilleure écologie du travail» à l’usine de dégrossissage d’or. «On devait travailler avec de grands bacs d’acide.» Cette période voit se succéder plusieurs catastrophes écologiques: l’accident industriel de Bhopal, en 1984, l’un des plus tragiques à ce jour, provoqué par l’explosion de l’usine chimique d’Union Carbide. Ou la catastrophe de Schweizerhalle, à Bâle, qui voit, en 1986, l’incendie d’un hangar de produits chimiques Sandoz provoquer la mort d’une grande partie des poissons du Rhin.
Jusqu’à la fin des années 1980 toutefois, Ueli Leuenberger ne s’affilie à aucun parti, en raison de ses occupations syndicales. Le Genevois, qui suit une formation de travailleur social, s’engage ensuite pour les droits des migrants. Une constante chez celui qui découvre alors son plus grand ennemi: l’UDC de Christoph Blocher. Depuis, l’écologiste pourfend sans relâche la «blochérisation du pays», un mot qu’il martèle à tout-va, lui reprochent parfois ses adversaires.
De fait, le Genevois fait preuve d’une certaine intransigeance lorsqu’il s’agit d’aborder des questions liées aux étrangers ou à la sécurité. «Il n’entre même pas en matière, c’est contre-productif», relève un élu. Y a-t-il une crispation? «C’est faux, rétorque Ueli Leuenberger. Au parlement fédéral, je suis peut-être celui qui a le plus donné de son âme et de son corps pour l’intégration. Je me suis beaucoup occupé des populations d’ex-Yougoslavie, poursuit-il. L’UDC, qui opérait une montée en puissance, s’est nourrie de ces conflits.»
C’est de là que naît le projet de l’Université populaire albanaise, qu’Ueli Leuenberger fonde en 1996. Une belle aventure, mais qui connaît aussi des moments difficiles, des luttes entre clans. Ueli Leuenberger reçoit même des menaces de mort. Par ailleurs, la transmission de la présidence de l’association provoque à l’époque un «clash» entre Ueli Leuenberger et David Hiler. «C’était un problème d’orientation, mais j’ai toujours gardé des relations collégiales avec David au sein des Verts.» Même si, précise Ueli Leuenberger, «je ne suis pas toujours d’accord avec lui». Le député a ainsi peu goûté la proposition du ministre des Finances genevois d’attirer des hedge funds dans le canton. «Mais là encore, on en discute», assure-t-il.