L’affaire agace autant qu’elle amuse. Le conseiller d’Etat Claude Roch demande aux enseignants haut-valaisans de censurer, dans un manuel scolaire utilisé pour les cours d’éducation sexuelle, des liens vers des sites internet qui ne cadrent pas «avec une certaine morale».

Vous voyez ce que c’est? Le fameux Tipp-Ex liquide qui servait, avant l’avènement du tout-informatique, à corriger les fautes et, surtout, à encrasser les rubans des machines à écrire? Eh bien voilà qu’au Vieux Pays, le suranné produit vient d’être investi d’une nouvelle mission, que même le journal La Broye annonce: cacher des liens internet dans un manuel utilisé pour les cours d’éducation sexuelle. C’est le conseiller d’Etat Claude Roch, chargé de l’éducation, de la culture et du sport, qui le demande aux enseignants haut-valaisans. Inutile de préciser que l’exigence – largement tournée en ridicule par Pascal Bernheim dans sa chronique de mardi, «Tipp-expurge», sur La Première de RSR – est «jugée surréaliste et rétrograde», selon les termes du Matin.

«Le livre, Schritte ins Leben («Avancer dans la vie»), allait trop loin pour Claude Roch. A la fin du chapitre «Amour et sexualité» se trouvaient des liens […] jugés «hors concept» par le conseiller d’Etat libéral-radical. Les cycles du Haut-Valais possèdent tous cet ouvrage, il fallait sévir. Dans une missive adressée aux enseignants haut-valaisans, Claude Roch demande de «cacher avec du Tipp-Ex ou autre moyen» ces liens». La liste orientant vers des sites comme ­ Feelok.ch , Tschau.ch , Lilli.ch ou ­Mysize.ch «ne cadre pas avec une certaine morale». Ces sites iraient «trop loin dans certains détails», poursuit le quotidien lausannois. Quels détails? Ceux qui évoquent la masturbation, l’homosexualité, la contraception ou encore l’avortement.

Mais l’histoire, au fond, «agace autant qu’elle amuse». Un enseignant taxe la méthode de «surréaliste». «Ce genre d’affaires entretient l’image d’un Valais des plus conservateurs.» Et «l’humoriste Daniel Rausis, jadis enseignant au Cycle d’orientation des Liddes, à Sierre, avertit: «Le Tipp-Ex est un matériel dangereux, il contient du trichloréthylène avec lequel on se drogue! La seule façon de régler le problème, c’est de faire un autodafé avec Schritte ins Leben. De brûler le livre pendant que les élèves sont au cours de piscine.»

Dans Le Nouvelliste, on apprend que selon le Blick – qui a révélé l’affaire – «la question aurait été soulevée par un groupe d’opinion apolitique haut-valaisan connu pour se battre notamment contre une éducation sexuelle trop précoce à l’école. Selon une enseignante d’économie domestique membre de ce groupe, dans cet ouvrage les enfants sont dépeints comme des objets sexuels et l’avortement y serait expliqué comme étant un simple curetage de la matrice.»

Et qui s’en est alors mêlé ensuite? Le conseiller national UDC Oskar Freysinger, bien sûr, par ailleurs aussi enseignant, qui estime que «cette affaire est digne de figurer dans le journal de carnaval. Le ­Tipp-Ex peut facilement être enlevé avec un couteau ou une lame de rasoir. Les jeunes savent tout, de toute façon. De plus, pour les écoliers qui n’avaient pas encore remarqué ces liens, c’est carrément une incitation à aller voir ces sites». «C’est d’un débile profond», renchérit un internaute du journal gratuit 20 minutes.

La correspondante de la Tribune de Genève et 24 heures n’est pas en reste, qui écrit que «les élèves haut-valaisans sont priés de ne plus se masturber» après qu’elle a interrogé le conseiller d’Etat pour qui «on peut parler de la masturbation à l’école, mais pas envoyer les élèves sur des sites pour en savoir plus. Quant à l’homosexualité, c’est davantage un sujet de société qu’un sujet scolaire.» Mais, comme dans son intervention à Forum de la RSR lundi soir, il le reconnaît: c’est sous la pression de parents, de politiques et d’associations qu’il a agi pour «calmer le jeu dans le Haut-Valais». N’empêche, de Brigue à Zermatt, beaucoup de profs jugent cette censure ridicule. Et surtout contre-productive. La preuve? Tous les détails sont déjà sur Facebook: «En Valais y a qu’à regarder comment elles les font les bêtes et pis c’est marre. Y a qu’à Vaud et Genève qu’ils ont besoin de manuel.»