Quoi de plus normal. L'affaire qui l'occupe aujourd'hui est exceptionnelle. Elle concerne la mort de Brigitte Didier, cette jeune fille de Tavannes dont le corps a été retrouvé mutilé de coups de couteau en janvier 1990 sous un pont d'autoroute près de Bienne (Le Temps des 8 et 9 janvier 2002). Durant onze ans, l'enquête de la police bernoise est restée infructueuse. Jusqu'au 20 décembre 2001 justement, date à laquelle deux individus ont été placés en détention préventive.
L'annonce de ces arrestations le 7 janvier dernier a provoqué un émoi considérable dans le Jura bernois. Celui-ci a pris une dimension supplémentaire lorsque la population a appris par voie de presse que l'un des prévenus était domicilié dans le vallon de Saint-Imier. Marc von Niederhäusern en est le défenseur. Un défenseur qui a décidé de surseoir à sa discrétion pour contrebalancer le portrait «peu reluisant» de son client incarcéré à Bienne. «Nous avons décidé de porter plainte contre un quotidien lémanique. J'ai signé le document aujourd'hui (vendredi, ndlr). Car ce qui a été écrit ne respecte en rien la présomption d'innocence que l'on est en droit d'attendre à ce stade de l'enquête.» Silence. «Il y a une évidente volonté de nuire… peut-être un règlement de compte par l'entremise d'un journal. Après cet article, où mon client est présenté comme un extrémiste de droite, exclu de plusieurs instances politiques, et un gestionnaire «magouilleur» – deux accusations fausses et nous le prouverons –, il ne peut apparaître que comme le suspect numéro 1. Sans compter que tous les autres médias ont relayé l'information. Un tel personnage est forcément coupable dans l'esprit des gens et peut-être de la justice.»
Pourtant, assure l'avocat chaux-de-fonnier, il n'en est rien. Lui-même en est «intimement persuadé.» Il connaît son client depuis plus de quatre ans. Sa voix vibre en se faisant le porte-parole du prévenu qui «clame son innocence» depuis sa cellule. «La situation est extrêmement pénible pour lui et ses proches. Il se demande quand ce cauchemar médiatique va se terminer. Pourtant, je vous l'assure: excepté ce battage, il reste serein.»
Sans entrer dans les détails de l'instruction «qui souffre déjà assez de cette situation», Marc von Niederhäusern essaie de calmer les rumeurs. Oui, son client a bien été arrêté après la comparaison de profils ADN (des traces de sperme prélevées sur la victime ont été analysées, ndlr). Mais «cela n'est pas une preuve en soi».
Reste que la détention préventive dure depuis trois semaines. N'est-ce pas un élément qui prouve que les charges se précisent? «Absolument pas, répond l'avocat. Il faut savoir qu'un juge d'instruction peut demander une incarcération préventive pour plusieurs raisons, dont l'une est de permettre le bon déroulement de l'enquête. C'est le cas ici. On veut éviter tout risque de collusion, éviter que des contacts ne polluent la réalité.» En liberté, un prévenu pourrait notamment se fabriquer un alibi.
D'après Marc von Niederhäusern, son client, qui connaissait la victime dans un cadre privé, est donc en train d'essayer de se justifier de son emploi du temps lors de la tragique journée. «L'exercice est difficile. Comment se rappeler précisément ce que l'on a fait un jour particulier il y a onze ans! S'il y parvenait, il serait évidemment libre.» Et l'avocat de retourner l'argument de la durée de la préventive: «Le fait qu'après 21 jours il n'y ait pas eu d'inculpation plaide en sa faveur. A ma connaissance, il n'existe aucun élément justifiant une telle procédure.»
A tel point, d'ailleurs, qu'il travaillait à une demande de remise en liberté, le 7 janvier, lorsque la police bernoise a communiqué l'arrestation des deux hommes. «D'entente avec mon client, nous avons alors décidé de la reporter. Nous ne savions pas qu'il y avait une autre personne en détention. Avec cette annonce, la situation a changé. Aujourd'hui encore, nous ne connaissons pas l'identité du deuxième individu.»
C'est d'ailleurs ce qui irrite le défenseur: «Avec les révélations de la presse, les deux prévenus ne sont plus sur un pied d'égalité. Il y a un risque de parti pris, et l'autre partie pourrait tenir compte de l'identité de mon client.» Mais l'irritation ne dure pas très longtemps. Marc von Niederhäusern, en bon avocat, se reprend en affirmant compter sur «l'impartialité du juge d'instruction biennois» qui, assure-t-il, «ne garde pas les gens emprisonnés pour le plaisir» .