Difficile d’imaginer bien pire. L’enquête disciplinaire menée contre Michael Lauber – sur fond de rencontres secrètes avec Gianni Infantino, le président de la FIFA – s’achève sur un constat très sévère. Le procureur général de la Confédération a manqué à plusieurs de ses devoirs: il n’a pas dit la vérité, il a agi de manière déloyale, il a violé le code de conduite et il a même entravé le cours de la procédure menée contre lui. Pour sanctionner ce comportement plus que problématique, l’Autorité de surveillance inflige au patron du parquet fédéral une réduction de salaire de 8% pour une durée d’un an. Cette décision, rendue publique ce mercredi, est susceptible de recours.

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Les conclusions de l’Autorité de surveillance du Ministère public de la Confédération (AS-MPC) étaient très attendues. Réélu de justesse le 25 septembre dernier avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, Michael Lauber voit son cauchemar se réaliser. L’enquête, menée par la juge fédérale Alexia Heine, membre de ladite autorité, ne discerne qu’un seul facteur susceptible d’atténuer le sombre tableau: aucun document n’indique que le procureur général aurait reçu de l’argent ou d’autres contreparties. Ce qui lui évite la retenue de salaire maximale de 10%.

Enquête entravée

La procédure disciplinaire, ouverte le 9 mai 2019 afin d’établir si Michael Lauber avait mené son monde en bateau, révèle une attitude pour le moins déplacée. A plusieurs reprises, précise le communiqué, «le procureur général n’a pas dit la vérité à l’AS-MPC, au parlement et au public au sujet de sa rencontre du 16 juin 2017 avec le président de la FIFA. Il a été prouvé que cette rencontre a eu lieu.» Il a négligé de protocoler les trois rencontres avérées et a laissé une tierce personne assister aux séances alors que des sujets pertinents pour l’enquête étaient abordés. Il s’est enfin impliqué de manière inadaptée dans le complexe des enquêtes FIFA au lieu de se tenir à sa fonction de super-organisateur de l’institution.

Plus sérieux encore, Michael Lauber, «soumis à un devoir de fidélité qui comprend également l’obligation d’agir de manière loyale», a jeté publiquement le discrédit sur son Autorité de surveillance. Il a aussi «entravé l’enquête de l’AS-MPC en influençant personnellement et directement le traitement des demandes de renseignements et de production de documents» au sein du parquet fédéral tout en s’assurant «que certaines de ces demandes soient rejetées et retardées de manière illicite».

En d’autres termes, il a mis des bâtons dans les roues de l’Autorité de surveillance et a préparé certains témoignages en disant sur quel sujet ces personnes pouvaient répondre. Enfin, il a offert aux collaborateurs concernés l’assistance de défenseurs aux frais du MPC, «les mettant en situation de conflit de loyauté». Pour couronner le tout, il a «ordonné personnellement la prise en charge des coûts de ses propres défenseurs par le MPC.»

Réduction de salaire

En résumé, l’autorité retient des mensonges délibérés au sujet de la fameuse rencontre cachée du 16 juin 2017 et des actes déloyaux pour sa manière d’influencer la procédure disciplinaire. «De graves manquements», dit la décision. La négligence en matière de consignation de certaines rencontres, l’absence de procès-verbal et la création d’un risque de violation du secret de fonction ne sont finalement pas retenues sur le plan disciplinaire en raison des recommandations déjà faites pour corriger cette manière d’opérer et de la prescription.

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Aux yeux de l’AS-MPC, le comportement déloyal et les fausses déclarations sont les manquements les plus importants, d’autant plus que ceux-ci sont également survenus au cours de l’enquête disciplinaire. «Le procureur général ne voit pas en quoi ses agissements sont problématiques et fait preuve d’une mauvaise compréhension de sa profession.»

Une réduction de salaire de 8% (proche du maximum de 10%) est infligée pour une durée d’un an. En cas de faute, les sanctions vont de l’avertissement à la réduction de salaire, en passant par le blâme. L’AS-MPC a donc opté pour la plus sévère de l’arsenal à sa disposition. L’Assemblée fédérale est seule compétente pour prononcer une révocation en cas de violation grave des devoirs de la charge.

Recours envisagé

Contacté, le MPC dit prendre acte de cette décision et rappelle son caractère provisoire. Michael Lauber et ses défenseurs «se réservent d’engager toutes les démarches juridiques nécessaires», soit d’en appeler au Tribunal administratif fédéral dans le délai imparti des trente jours.

Parmi les parlementaires plus ou moins sonnés, Christian Lüscher (PLR/GE) (qui plaidait en faveur d’une réélection du procureur général contre l’avis d’une majorité de la Commission judiciaire) concède que le résultat de cette enquête modifie la situation car elle n’émane pas du président de l’AS-MPC, le Zougois Hanspeter Uster, bien connu pour entretenir un conflit larvé avec Michael Lauber. «Venant d’une juge fédérale, la sévérité du propos a une valeur probante plus forte», explique le conseiller national.

Christian Lüscher estime enfin qu’il faut s’armer de patience avant d’évoquer les conséquences possibles d’un tel désaveu. «Sur le fond, il est trop tôt pour analyser la situation. Il faut attendre une décision définitive.» Le feuilleton se poursuit et le malaise grandit.