Enfant, il lui était impossible de prononcer son nom: une division palatine lui a longtemps valu un manque d’élocution et un bégaiement handicapants. Depuis, Michel Matter s’est rattrapé, et plutôt deux fois qu’une. Son histoire, il la conte avec faconde, et bien malin qui tentera de le détourner du scénario qu’il semble avoir construit par avance.

La preuve? «Mon parcours est linéaire, logique. Les histoires que j’écris [il rédige à ses heures perdues, sans publier] sont linéaires. Je suis un vrai matheux.» Et le très cérébral Dr Matter, élu au Conseil national l’automne dernier sous la bannière Vert’libérale, ophtalmologue, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe) et vice-président de la FMH, de se livrer à une autoanalyse qui n’appelle ni la contradiction ni l’interruption.

Aussi lui cède-t-on la préséance, convaincu qu’à brider cette forte tête, il n’en ressortira rien de bon. Sa force, il la forge enfant déjà: le gamin studieux, bigleux, freluquet, que tout désignait à en faire une victime des préaux, se révèle aussi sportif. Savoir courir après le ballon aura donc protégé ce fort en thème des moqueries de ses camarades et lui aura permis de savourer ses résultats scolaires: «Quand on connaît l’apogée intellectuel à 10 ans, on est condamné à décliner!» plaisante l’élu.

Son désir de devenir avocat, contrecarré par ses défauts d’élocution, se mue en volonté d’étudier la médecine, puis l’ophtalmologie. Avec un père opticien, la chose est naturelle. Mais une grande épreuve l’attend durant ses études, le décès de sa mère: «Ma maman m’a sommé de lui dire combien de temps il lui restait à vivre, sous peine d’aller se renseigner dans les livres. J’étais placé devant le discours impossible.»

Le sport et l’humilité

Il soigne son chagrin, après son diplôme, dans un voyage de plus d’une année autour du monde, qui lui laissera toujours un goût pour l’ailleurs. Avec un attachement spécial pour les endroits chargés de spiritualité, Lhassa, Conques, Jérusalem, Bethléem. «Je suis un cartésien, l’appartenance religieuse ne m’importe pas, mais la dimension impalpable de ces lieux, oui.»

Linéaire, disait-il en préambule. Toujours sur les rails de la médecine et du sport, «l’autre moitié de ma vie». «Ma lecture scientifique, c’est L’Equipe», ajoute-t-il. Ancien coureur à pied, il parcourt désormais les espaces à bicyclette, Biarritz-Perpignan l’an dernier, des cols, le Tourmalet, Aubisque, les Dolomites l’automne prochain. «Le sport encourage l’humilité. L’euphorie quand vous êtes en forme, la lutte pour chaque mètre quand vous ne l’êtes pas. Le sport, c’est la gestion intime de soi-même.»

La médecine, il l’a vue évoluer vers une approche de plus en plus personnalisée ainsi que dans le rapport aux patients: «Elle est révolue, l’époque où le médecin était un demi-dieu. Aujourd’hui, nous sommes devenus des prestataires de soins.» Pour autant, cela ne décourage pas ce médecin «irrémédiablement optimiste», dont le cabinet ne désemplit pas depuis vingt ans. Il s’est battu avec succès contre le projet de loi Managed Care visant à restreindre le libre choix du médecin, il émet un jugement sévère vis-à-vis des tarifications, «c’est un non-sens philosophique que de facturer par tranches de vingt minutes». Il s’oppose au rationnement des soins, actuellement envisagé par le Conseil fédéral.

Chemin faisant, un œil sur le guidon, l’autre sur la lampe à fente de son cabinet, c’est naturellement que Michel Matter investit le champ politique: «Je ne suis ni ambitieux ni carriériste, mais très travailleur. Je sais toujours où je veux aller.» On n’est pas obligé de le croire, mais le fait est que, malgré une campagne éclair – il s’était fixé soixante jours, pas un de plus, et sur un tempo qu’il ne s’est pas laissé dicter –, il réussit son coup, à 55 ans.

Une authenticité payante

Sa recette? «J’ai couché mes idées et mes valeurs sur une page blanche», répond-il benoîtement, et la case Vert’lib s’est éclairée. Une authenticité qui aurait payé. Il faut ajouter que, pressé, Michel Matter voulait être tête de liste, ce que seul un parti jusque-là insignifiant à Genève pouvait lui offrir.

S’il se reconnaît dans une vision entrepreneuriale, ce père de deux enfants n’oublie pas celui qu’il fut, «le gosse de Plainpalais» dont les grands-parents travaillaient à l’usine avant d’être concierges dans une école qui, le week-end, s’ouvrait rien que pour lui. Persuadé qu’économie et écologie vont ensemble, celui qui ne renonce pas à prendre l’avion croit que les grandes entreprises accompliront le virage écologique qui s’impose: «On doit viser la transition, pas la rupture. Je constate de plus en plus de fragmentations, en politique, en médecine, dans la société. Les panneaux de signalisation féminisés à Genève en sont un exemple.»

Quoi qu’il arrive, il jure que la politique ne gâtera jamais la simplicité qui l’habite et dont il fait un argument promotionnel: «Je veux qu’on continue de m’appeler par mon prénom.» Ce prénom qu’il a mis du temps à prononcer, une victoire en regard desquelles les autres seront toujours relatives.


Profil

1964 Naissance à Genève.

1992 Diplôme de médecin.

2001 Première installation en cabinet privé.

2014 Président de l’AMGe.

2018 Vice-président de la FMH.

2019 Elu au Conseil national.


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