Diplomatie scientifique
Le Prix Nobel de physique 2019 devient le représentant de la Fondation pour Genève auprès du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (Gesda), après la signature d’un partenariat entre les deux entités. «Il est indispensable de tenir compte des progrès accélérés de la science afin de s’y préparer», dit-il

Au lendemain de son déplacement à Bruxelles, Ignazio Cassis était à Verbier, ce mercredi. Au menu du ministre des Affaires étrangères: la diplomatie scientifique. Le Tessinois était en Valais dans le cadre de la signature d’un partenariat entre le Geneva Science and Diplomacy Anticipator (Gesda) et la Fondation pour Genève.
Président du Gesda, l’ex-PDG de Nestlé Peter Brabeck-Letmathe a souligné l’importance symbolique, mais aussi financière de ce partenariat. «Sans ce rapprochement, nous aurions eu des difficultés à survivre», a-t-il avoué peu après la signature. «Trouver des fonds est toujours compliqué et plus encore lorsqu’il s’agit d’une fondation qui vient de voir le jour et qui n’a pas d’histoire», continue-t-il. L’ambition du Gesda, créé en 2019 par la Confédération, le canton et la Ville de Genève, consiste à identifier les innovations scientifiques qui se dessinent dans les laboratoires aux quatre coins de la planète et anticiper les conséquences qu’elles auront sur la société.
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La science pour faciliter la paix
Regroupant des scientifiques du monde entier, le Gesda est également un formidable outil diplomatique. «Tout le monde est à la recherche de nouveaux instruments pour faciliter la paix et la prospérité dans le monde. La science en fait désormais partie, et la diplomatie scientifique est une nouvelle branche de la diplomatie», reconnaît Ignazio Cassis.
Ce volet de la diplomatie prend-il une importance d’autant plus grande à l’heure où les relations de la Suisse avec l’Union européenne ne sont pas au beau fixe et où la Commission européenne a décidé d’exclure la Confédération de la liste des pays associés au programme-cadre de recherche Horizon Europe? «Le Gesda et le programme Horizon Europe ne peuvent pas être comparés. Si les deux sont indispensables au monde scientifique, ils ne sont pas directement liés», indique le conseiller fédéral PLR.
Un Prix Nobel comme ambassadeur
Pour représenter la Fondation pour Genève au sein du Gesda, un ambassadeur de choix a été désigné: le Prix Nobel de physique 2019 Michel Mayor. La mission du physicien sera, dit-il, de «faire passer le message, dans le grand public, de la nécessité de cette démarche de prospective scientifique». «Il est indispensable de tenir compte des progrès accélérés de la science afin de s’y préparer. La science va offrir d’énormes problèmes de potentialités dans les dix ou vingt prochaines années, et il est absolument nécessaire de les encadrer», insiste Michel Mayor.
Pour le physicien, l’intelligence artificielle ou l’émergence du pouvoir de la physique quantique vont bouleverser nos vies. «Mais au bénéfice de qui? Dans quel but? Est-ce que cela sera encadré ou non?», questionne-t-il. Autant de questions sur lesquelles devront, notamment, se pencher les membres du Gesda.
Lorsqu’on imagine l’évolution du monde dans lequel nous vivons, une certaine crainte peut nous envahir. «C’est le cas pour énormément d’évolutions dans le monde de la science, coupe Michel Mayor. Lorsque les rayons X ont été découverts, personne n’avait anticipé qu’ils allaient être aussi utiles au monde médical. Idem pour la radioactivité: on sait ce qu’elle peut faire de mal, mais on sait aussi ce qu’elle peut apporter à la médecine. Cette dualité se retrouve dans quasiment tous les domaines de la science. Ils ont tous la capacité d’apporter du positif, mais ils peuvent également engendrer des dérives.»
La course à l’espace des milliardaires, «pas la meilleure avancée de l’humanité»
Mais le domaine de prédilection de Michel Mayor demeure les astres. Et en cette période où l’espace devient le terrain de jeu de multimilliardaires en quête de nouvelles aventures, impossible de ne pas questionner l’astrophysicien à ce sujet. «Je ne suis pas un fanatique de ce genre de démarches. J’ai de la peine à comprendre ce besoin», admet Michel Mayor.
Si pour le scientifique la découverte, la curiosité ou le désir d’exploration sont des moteurs légitimes pour quitter l’atmosphère terrestre, il peine à concevoir que l’espace devienne un enjeu touristique. «Ce n’est pas la meilleure avancée de l’humanité que l’on puisse espérer», soupire-t-il, tout en faisant remarquer qu’il ne s’agit pas de la première fois que l’espace est utilisé sans réelle vision scientifique. «La mission Apollo avait un objectif premier qui était de mettre en avant le prestige des Etats. La part de la science à bord d’Apollo était congrue au début.»