A peine les échos de sa visite en Iran se sont-ils apaisés que Micheline Calmy-Rey s'apprête à rajouter un nouvel épisode à la longue liste de ses initiatives qui apparaissent, à tort ou à raison, comme des provocations aux yeux d'une large partie du monde politique.

Alors que la Berne fédérale tourne au ralenti pour cause de vacances pascales, la ministre des Affaires étrangères entame aujourd'hui une visite officielle de travail de cinq jours dans les Balkans occidentaux, plus précisément en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Macédoine. Ce que le communiqué de son Département annonçant ce déplacement ne disait pas et que le Tages-Anzeiger révélait mercredi matin, c'est que Micheline Calmy-Rey élèvera officiellement à cette occasion le bureau de liaison suisse auprès de la Mission des Nations unies au rang d'ambassade à Pristina.

En février, la ministre des Affaires étrangères avait dû patienter dix jours, et encore en forçant quelque peu la main de ses collègues du Conseil fédéral, pour annoncer la reconnaissance du Kosovo, après une douzaine d'autres Etats. Elle aura gagné cette semaine quelques places dans le peloton, devancée uniquement par la Grande-Bretagne, ainsi que par la France et l'Allemagne, selon la façon dont on considère les choses. Ces deux Etats ont en effet ouvert une représentation diplomatique, mais pas encore envoyé d'ambassadeur. Micheline Calmy-Rey sera également la deuxième ministre des Affaires étrangères, après le Suédois Carl Bildt, à se rendre au Kosovo depuis l'indépendance.

Le Conseil fédéral a désigné le 14 mars dernier Lukas Beglinger, le chef du bureau de liaison, comme ambassadeur. Mais le choix du moment et de la façon d'officialiser le changement n'appartenait qu'aux seules Affaires étrangères. Suite à l'article du Tages-Anzeiger, le DFAE a confirmé mercredi l'inauguration de l'ambassade de Suisse, vendredi à Pristina, un mois après la reconnaissance de l'Etat du Kosovo. Cette inauguration aura lieu vendredi soir et sera suivie d'une réception officielle.

On peut déjà imaginer la scène et ses retombées politico-médiatiques, sur place et à Berne. Sur place, où Micheline Calmy-Rey est déjà extraordinairement populaire pour son engagement de longue date en faveur de l'indépendance du Kosovo, elle devrait être fêtée à l'égale d'une sainte. A Berne, cette initiative va sans aucun doute conforter les critiques des adversaires les plus résolus de la ministre des Affaires étrangères et alimenter le scepticisme de ceux qui s'interrogent sur ses choix.

On peut décomposer les motivations de Micheline Calmy-Rey, disent ceux qui la connaissent bien, en quatre quarts. Un quart de sincère conviction: elle est sûre d'être dans le vrai et convaincue que le temps lui donnera raison. Un quart de sens de la provocation: elle est loin de détester l'affrontement avec ses collègues et le milieu politique. Un quart de pur narcissisme. Un quart, enfin, de vraie naïveté, que l'on aurait tendance à sous-estimer.

En ne tardant pas à établir concrètement des relations diplomatiques avec Pristina, Micheline Calmy-Rey demeure dans la droite ligne de la politique qu'elle défend de longue date à propos du Kosovo, soit la reconnaissance du caractère inéluctable de l'indépendance et la volonté d'en tirer le plus rapidement possible les conséquences, afin d'entamer également le plus rapidement possible le processus de reconstruction.

Il y avait des façons plus ou moins démonstratives de mettre en œuvre cette politique et Micheline Calmy-Rey n'est pas de celles qui s'effacent derrière la cause qu'elles défendent, tout en affirmant bien sûr qu'elle ne s'expose que pour mieux faire avancer les choses. L'entêtement s'allie parfois au narcissisme, chez la ministre des Affaires étrangères, pour l'amener à affronter ses collègues du Conseil fédéral et ses critiques au parlement avec un style qui n'a rien de diplomatique. Peu portée à écouter ses conseillers, elle ne semble pas toujours calculer avec clairvoyance les retombées de ses initiatives ni leur rapport coût/bénéfice, lui reproche-t-on.

Il était évident que les Iraniens allaient exploiter sa rencontre avec le président Ahmadinejad, en en utilisant très largement les images pour montrer qu'ils ne sont pas boudés par tout l'Occident. En entamant dix jours plus tard une deuxième démarche controversée, qui paraît négliger les relations entre la Suisse et la Serbie pour conforter une relation déjà au beau fixe avec le Kosovo, Micheline Calmy-Rey offre à une large partie du parlement, et en premier lieu aux commissions des Affaires extérieures, les verges pour se faire battre.