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Micheline Spoerri persiste et signe dans l'affaire du drone traqueur de flammes

La présidente du Département de justice et police et le juge d'instruction ont cosigné un communiqué confirmant les révélations du «Temps». Le Conseil d'Etat prendra position mercredi prochain

Il n'en fallait pas beaucoup plus pour susciter une montée d'adrénaline au sein du monde politique genevois. La demande de la conseillère d'Etat Micheline Spoerri visant à obtenir un drone pour démasquer des incendiaires de véhicules, une démarche inédite révélée dans notre édition de samedi, a provoqué de nombreuses réactions mêlant le rire à l'indignation. La présidente du Département de justice et police est sortie de son silence lundi après-midi. Un communiqué de presse, cosigné par le juge d'instruction chargé de cette enquête, justifie le recours au soutien technique de l'armée et à ce petit avion mouchard sans pilote. En substance, la paternité de cette requête revient au juge Leonardo Malfanti, mais s'inscrit dans le souci déjà exprimé par la présidente de mettre un terme à des actes qualifiés de «terroristes». Cet enchaînement aura l'avantage de calmer ceux qui percevaient dans la démarche solitaire de la patronne du DJPS un manque de collégialité, voire une sorte de cachotterie. Mais ne rassure guère ceux qui dénoncent les excès de cette vision sécuritaire.

La confirmation a pris du temps et soulagera sans doute les autorités fédérales assaillies de questions. D'après le communiqué, le juge Malfanti a demandé l'appui du Département pour intervenir auprès du conseiller fédéral Samuel Schmid et examiner la faisabilité de cet engagement. Par lettre du 4 octobre, Micheline Spoerri a accédé à cette requête et sollicité la mise à disposition d'un drone qui ne serait pas accompagné d'un hélicoptère. Le 8 octobre, Samuel Schmid entrait en matière et transmettait, pour des raisons de compétences, la demande à Moritz Leuenberger, dont le Département est en charge de la sécurité aérienne. A ce jour, aucune décision n'a été prise.

«L'utilisation d'un drone permet de détecter de façon très précoce tous foyers d'incendie, en particulier ceux qui ne sont pas forcément détectables au sol. Elle permet ainsi de procéder immédiatement à l'intervention des pompiers et de la police. Il avait été prévu de recourir au drone pendant trois nuits, le week-end, sachant que les incendiaires agissent généralement à ces moments-là», explique Micheline Spoerri. Certes, la police est parvenue à mettre la main sur de sérieux suspects en date du 2 novembre dernier, et cela sans l'aide d'un appareil volant. Un jeune de 18 ans a reconnu avoir bouté le feu à au moins 20 des 26 voitures incendiées en deux mois. Il a mis en cause un complice qui conteste. Un autre adulte a été inculpé pour avoir brûlé un véhicule en compagnie de trois mineurs. Sans compter le dossier où deux ivrognes sont rentrés dans une enseigne publicitaire et ont tenté de faire passer la destruction volontaire de leur voiture pour une opération criminelle.

Les résultats de l'enquête classique rendent-ils la demande du drone désormais caduque? «Non, rétorque la cheffe du DJPS, la requête reste pendante, et la réponse aura le mérite d'éclairer les autorités cantonales sur les possibilités d'utilisation de ce type de moyen militaire.» N'était-il pas politiquement imprudent de s'aventurer sur un terrain aussi sensible? «Entre le risque de ne rien explorer et les risques encourus par la population, j'ai préféré prendre cette initiative, qui a le mérite de susciter de vraies questions. Je pense enfin que ce type de criminalité justifie la mise en œuvre de tous les moyens techniques existants. Il faut s'armer de manière permanente et utiliser ces instruments de manière ponctuelle», ajoute Micheline Spoerri.

Une déclaration qui ne manquera pas de faire bondir tous ceux qui dénoncent la disproportion entre les moyens envisagés et la criminalité que l'on veut combattre. «On aurait pu comprendre s'il s'agissait de poseurs de bombes, mais on a affaire à de sales gosses et à du vandalisme classique», relève le député Vert David Hiler. De son côté, le conseiller national Carlo Sommaruga se déclare effaré par cette gestion de la sécurité: «La démarche montre toute la faiblesse de la vision stratégique de ce département et renforce à terme le sentiment d'insécurité.» Pour le socialiste genevois, il s'agit de remettre les pieds sur terre et ne pas chercher à résoudre des problèmes de psychologie sociale avec des instruments plus appropriés à des situations de conflits armés. Quant au député libéral Michel Halpérin, il qualifie l'option drone d'étonnante, sans s'offusquer davantage d'une éventuelle immixtion excessive dans la sphère privée des gens: «C'est peut-être moins intrusif que d'être filmé en permanence dans certains lieux.» Le son de cloche ne diffère pas trop au PDC, où Patrick Schmied déclare: «Il est légitime de chercher des moyens appropriés pour étouffer dans l'œuf ce type de vandalisme et éviter que cela ne dégénère.»

Le Conseil d'Etat aura un avis mercredi prochain sur la question du drone, nous promet son président, Robert Cramer. Le fait que l'initiative provienne du pouvoir judiciaire et que le Département fasse figure d'intermédiaire peut expliquer pourquoi le gouvernement n'avait pas encore été mis au parfum. Il le sera sans tarder, remous obligent.