Migros transparente ou antisioniste?
Revue de presse
Le «Grand Orange» veut identifier clairement pour ses clients les produits originaires des territoires occupés en Palestine. Cela suscite un tollé dans les milieux pro-israéliens
Jusqu’ici, dans le jargon de la grande distribution, l’appellation «produits coloniaux» renvoyait aux relents d’une époque où les Occidentaux exportaient leurs bananes des pays qu’ils avaient colonisés en Afrique ou ailleurs. Depuis mardi, Migros offre une nouvelle jeunesse à ces exotismes en rappelant qu’elle vend une série de produits en provenance des territoires palestiniens occupés par Israël. Comme d’autres magasins. Rien d’étonnant, donc. Mais la déclaration d’origine de ces marchandises est actuellement «Israël». Alors que pour l’ONU et le Conseil fédéral, ces colonies de peuplement sont illégales au regard du droit international.
Dans le courant de 2013, l’origine de ces produits sera donc déclarée en toutes lettres par le Grand Orange, mention «Cisjordanie [ou Jérusalem-Est], zone de peuplement israélienne». Avec cette initiative dont même la Berliner Umschau et les Forex Trade News ont parlé – c’est dire l’intérêt – le grand distributeur lance un beau pavé dans la mare. Il n’en pipe d’ailleurs pas mot cette semaine dans son organe de presse coopératif, Migros Magazine. Mais la communication diffusée hier paraît limpide: «Nous garantissons une transparence au travers d’une déclaration de produit claire. Il appartient aux clients d’acheter ces articles ou non», a expliqué à l’ATS la porte-parole de Migros, Monika Weibel. «Migros est politiquement neutre», ajoute-t-elle. L’information est reprise, sans commentaire, par le Jerusalem Post, via Swissinfo et également diffusée sur Twitter.
Mais aux yeux de Sara Stalder, directrice de l’organisation alémanique de protection des consommateurs SKS, cette déclaration d’origine est discutable. Pour les consommateurs, il est déroutant de déclarer les produits d’une certaine région en crise et pas ceux d’autres zones de conflits. Aussi, Sara Stalder prône-t-elle une déclaration d’origine exacte de tous les produits. Et du côté de Coop? On se dit plus avancé que la concurrence: les herbes de cuisine en provenance de Cisjordanie sont déclarées comme telles, explique le porte-parole Urs Meier. De même pour les machines à soda, fabriquées uniquement en Cisjordanie. Urs Meier souligne lui aussi que Coop ne pratique pas de politique étrangère et que le distributeur ne dicte pas leur conduite à ses clients.
Jusque-là, le débat paraît «normal» (au sens «hollandais» du terme), posé. Quoique «politisch korrekt», selon le Blick. Mais voilà, quand il s’agit d’Israël et de ses voisins proche-orientaux, les nerfs s’échauffent vite, comme dans 20 minutes, où la colère est palpable: «Migros s’affiche clairement antisioniste. C’est scandaleux!» aux yeux de Pierre Weiss, président de la section genevoise de l’Association Suisse-Israël. Côté palestinien, on se félicite de cette décision, vue comme «un premier pas». «Mais il faudrait aller plus loin et boycotter ces produits tant qu’Israël ne reconnaîtra pas les droits des Palestiniens», souligne Mary Honderich, membre de «Boycott-Désinvestissement-Sanctions contre Israël jusqu’à la fin de l’apartheid et de l’occupation en Palestine» (BDS) Suisse.
Vendredi 25 mai 2012, une délégation de ce lobby a d’ailleurs été reçue par la direction nationale de Migros, explique le site alternatif Le Grand Soir: «A cette occasion, lui ont été remises plus de 12 000 signatures de consommatrices et consommateurs appelant les deux leaders suisses de la grande distribution Migros et Coop à cesser la commercialisation des produits provenant d’Israël aussi longtemps que ce pays ne respecte pas le droit international et ne reconnaît pas les droits légitimes des Palestinien-ne-s reconnus par les Nations unies.» Migros a donc fait «un effort», comme on dit.
Mais Robert Equey, vice-président de la Chambre de commerce Suisse-Israël, dénonce une décision «hypocrite»: «Si la Migros se lance dans la politique, il faudrait qu’elle l’applique à tous les pays. Pourquoi n’y a-t-il pas d’étiquette rouge sur les produits chinois?» C’est aussi le ton exaspéré utilisé hier soir dans Forum de RTS La Première, où le débat a été chaud entre le même Pierre Weiss et Ueli Leuenberger, conseiller national vert genevois. Le premier, qui se déclare «choqué» et «outré», a comparé ce «boycott déguisé» à l’attitude «hypocrite» et «fautive» de Migros, comme vis-à-vis de l’alcool par exemple, alors qu’elle est propriétaire de Denner. Le second a, pour sa part, salué la décision en arguant que «chacun est assez grand pour savoir quel goût il veut savourer». Cela «n’a rien à voir avec les juifs», ajoute-t-il. Pour lui, Migros adresse «un avertissement à un Etat». Qui cependant, on le sait, fournit des emplois agricoles à des Palestiniens. Entre autres.
De quoi faire triompher Al-Kanz, le site des «tendances et perspectives du marché du halal et des consommateurs musulmans»: dans l’article «Made in Palestine», on peut lire que «la nouvelle va réjouir tous ceux qui dénoncent tant la colonisation que l’exploitation illégale des terres palestiniennes par Israël.» D’autant que le Danemark ou l’Afrique du Sud (!), selon le site Info-Palestine, vont clairement étiqueter les produits importés des colonies israéliennes. Al-Kanz note aussi «un point particulièrement intéressant»: cette décision a été prise «suite à des demandes répétées de [clients], ainsi que d’organisations pro-palestiniennes». «Nous ne cessons de le répéter depuis des années: celui qui décide de ce qu’il y a dans l’assiette du consommateur, c’est toujours le consommateur, dès lors qu’il est déterminé à faire comprendre aux enseignes de la grande distribution qu’il n’est pas dupe et qu’il a un pouvoir qu’il compte bien utiliser.»
Tout autre son de cloche, évidemment, sur le site Juif.org, où l’on découvre ce commentaire ironique d’«Edmond_002»: «Nous sommes neutres et contre les boycotts. Si nous avons pris cette décision, c’est uniquement pour laisser le libre choix au consommateur… Et hypocrites, avec ça, ces «pantalons-aux-chevilles» de la Migros! Bon, en avant la CICAD [Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation]! C’est pas le moment de mollir.» Alors que sur Alterinfo.net, «Anna» s’exclame: «Bravo à la Suisse et à la Migros et Coop que j’adore», Suzy_001, elle, a déjà pris sa décision, prouvant par l’absurde que le grand distributeur a peut-être encore réussi un joli coup de pub: «C’est tout vu. Je n’achèterai QUE des produits de ces «colonies». A quoi [faut-il] s’attendre des Suisses qui vivent dans leur bulle et qui font du misérabilisme à la petite semaine.»