Le Ministère public de la Confédération classe l’affaire du général Nezzar
Justice
Arrêté en 2011, l’ancien numéro un des forces armées algériennes durant la «sale guerre» ne sera finalement pas jugé pour crimes de guerre en Suisse. Les parties plaignantes font recours au Tribunal pénal fédéral

En octobre 2011, l’ancien chef des forces armées algériennes, Khaled Nezzar, sort d’une banque genevoise. Repéré par une victime du conflit algérien, il est dénoncé à l’organisation TRIAL International. Celle-ci met en marche la procédure qui veut que toute personne suspectée d’avoir commis des crimes de guerre qui se trouve sur le territoire suisse soit poursuivie. Interrogé dans la foulée par le Ministère public de la Confédération puis confronté à deux victimes de tortures, l’ancien militaire est relâché moyennant la promesse qu’il reviendra se présenter.
Quelques mois plus tard, il tente de faire valoir son immunité diplomatique en tant qu’ancien ministre de la défense. Dans une décision de principe qui date de 2012, le Tribunal pénal fédéral lui donnera tort en déclarant que «la responsabilité individuelle des chefs d’Etat au moment d’un conflit pouvait être engagée». Dans le même temps, le Ministère public de la Confédération déclare que «les autorités algériennes […] n’ont jamais démontré, depuis la fin du conflit armé algérien, une volonté d’enquêter sur les crimes concernés.»
Lire aussi: Philip Grant, l’homme qui traque les criminels de guerre (2012)
Aujourd’hui, le Ministère public de la Confédération (MPC) vient de faire volte-face en décidant que la condition de conflit armé, essentielle dans les cas de crimes de guerre, faisait défaut en Algérie entre 1992 et 1994. En effet, s’il n’y a plus de conflit armé il n’y a donc pas de crimes de guerre commis. Une décision de classement qui surprend Philip Grant, directeur de Trial International: «Cette décision est inattendue. Elle intervient en toute fin de parcours, un peu comme un cheveu sur la soupe. C’est d’autant plus grave pour les victimes qu’il y a une impunité généralisée en Algérie. Aucun militaire n’a jamais été condamné suite à une loi d’amnistie empêchant les poursuites à leur encontre.»
«Les conditions sont remplies»
Au cœur de la décision de classement, la notion de conflit armé telle que définie par le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) présuppose deux choses. Qu’il y ait un niveau minimal d’intensité du conflit et la présence de groupes rebelles organisés.
Pour l’avocat Bénédict De Moerloose, responsable du programme droit pénal et enquêtes de TRIAL, ces conditions sont parfaitement remplies: «S’il n’y avait pas de guerre, pourquoi le président Zéroual aurait-il entamé des négociations de paix au début 1994? Même les Nations unies elles-mêmes ont reconnu qu’il y avait une guerre civile et font état de plus de 200 000 morts! L’armée algérienne a même fait usage de forces spéciales, de blindés et d’hélicoptères lors d’affrontements particulièrement meurtriers».
Dans un procès-verbal daté du 20 octobre 2011 et qui a fuité sur Internet un an plus tard, le général Nezzar lui-même déclare: «Toute guerre civile est une sale guerre». Plus loin il reprend: «On engageait des armes de tout genre et même des hélicoptères.»
L’intensité du conflit démontrée, il faut encore prouver que les forces rebelles étaient bien organisées. Chercheur à Science Po, Luis Martinez a écrit un livre sur le sujet. Dans son ouvrage «Algérie: les nouveaux défis» il écrit: «Selon le général Touati, les effectifs des combattants islamistes avoisinaient en 1993, les 27 000 membres. La Guérilla islamiste était (...) susceptible de renverser le régime».
Question de forme
Au-delà de ce point juridique et historique, c’est surtout la forme de la décision du MPC qui soulève des questions. Après plus de cinq ans d’enquêtes, une quinzaine d’auditions de témoins et une commission rogatoire internationale adressée à l’Algérie sans jamais que l’existence du conflit ne soit remise en cause, l’un des avocats des parties civiles Damien Chervaz trouve la pilule difficile à avaler: «Je suis choqué par cette décision. Nous avons fait des demandes de preuves auprès du MPC pour tenter de prouver qu’il y avait eu un conflit armé. Elles sont restées lettre morte. C’est un déni de justice pour les victimes qui ont énormément souffert. Le MPC cherchait visiblement un prétexte pour classer l’affaire.»
Tributaire des perturbations qui ont eu lieu au sein de l’unité crimes de guerre, cette affaire est passée de mains en mains depuis le début de son instruction. Pourtant, une source au sein du Ministère public de la Confédération nous confirme sous couvert d’anonymat: «Souvent, lorsqu’on ne veut pas instruire une affaire, on trouve un prétexte pour s’en sortir. Mais il est impensable que l’argent du contribuable ait été engagé et qu’autant de temps se soit écoulé sans que la question du conflit armé se soit posée au début de l’affaire.»
Avocat de Khaled Nezzar, Marc Bonnant se déclare quant à lui «content que l'affaire soit classée». «Mais dans le cas où le Tribunal fédéral viendrait casser cette décision, nous demeurons sereins face aux accusations présentées, précise-t-il. Khaled Nezzar est un héros du peuple algérien».