Entre Johann Schneider-Ammann et le président de l’Union syndicale suisse (USS), Paul Rechsteiner, le torchon brûle depuis plusieurs semaines. On doit désormais parler de brasier. Mercredi, le bouillant socialiste saint-gallois a fait savoir au ministre de l’Economie que l’USS renonçait à participer aux discussions prévues sur les mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes. Dans la foulée, le président de Travail.Suisse, Adrian Wüthrich, a fait savoir que son organisation pratiquerait elle aussi la politique de la chaise vide.

Cette double décision a mis hors de lui Johann Schneider-Ammann. Chargé par le Conseil fédéral de discuter avec les partenaires sociaux de la règle des huit jours, qui oblige les entreprises étrangères détachant des travailleurs en Suisse à les déclarer huit jours à l’avance, le ministre a interrompu ses vacances pour venir exprimer sa déception et sa colère. L’UE, qui a obtenu du Luxembourg et de l’Autriche qu’ils abandonnent un dispositif similaire de sept jours, considère que cette mesure n’a plus lieu d’être et souhaite que la Suisse rapproche son mécanisme de protection des salaires de la nouvelle directive sur les travailleurs détachés.

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Paul Rechsteiner s’est montré âpre et menaçant dès qu’Ignazio Cassis et Johann Schneider-Ammann eurent déclaré publiquement, en juin, que cette règle devait être rediscutée. A son retour d’Asie centrale, Johann Schneider-Ammann lui a répondu dans les colonnes du Temps, jugeant la réaction du Saint-Gallois «un peu sotte».

Comme il en a reçu le mandat, il a ensuite mené des entretiens exploratoires individuels avec le président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), Jean-François Rime, son collègue de l’Union patronale suisse (UPS) Valentin Vogt, Adrian Wüthrich et deux présidents de conférences intercantonales, Benedikt Würth (SG) et Christoph Brutschin (BS). Il aurait aussi dû parler avec Paul Rechsteiner. Mais celui-ci était en vacances jusqu’au début de cette semaine. Une réunion considérée comme technique est agendée ce jeudi. Des représentants des faîtières syndicales et patronales et des cantons ont été invités à y participer et à présenter des propositions.

Johann Schneider-Ammann a fait rédiger à l’intention de ses interlocuteurs une feuille de route indiquant la base des discussions de ces prochaines semaines. Sa lecture a mis Paul Rechsteiner hors de lui. Il a réuni le comité de l’USS et annoncé qu’il pratiquerait la politique de la chaise vide ce jeudi. Il y a vu une stratégie de démantèlement des mesures d’accompagnement. Mercredi, devant les médias, il en a cité des extraits: selon Paul Rechsteiner, l’aménagement de ce dispositif de protection des salaires devra revêtir «une forme acceptée par l’UE et susceptible par ailleurs de passer le cap d’une éventuelle appréciation de la part de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).»

Trop de contrôles?

Parce qu’il la juge tronquée, Johann Schneider-Ammann a vivement réagi à cette citation. «Je n’ai jamais eu pour objectif d’abaisser les salaires. Je n’accepte pas qu’on m’accuse de mettre nos salaires et nos emplois en jeu. Nous avons toujours dit que nous voulions maintenir les mesures d’accompagnement, sans les affaiblir ni les étendre. Nous avons aussi dit que la solution à trouver devra être acceptable par l’UE mais aussi chez nous, dans notre pays. Par ailleurs, nous évoquons aussi le tribunal arbitral prévu par l’accord institutionnel ainsi que le Tribunal fédéral. J’ai toujours défendu notre souveraineté. J’estime que la manière dont Paul Rechsteiner présente les choses est une rupture de confiance. Je ne peux pas cacher ma déception», déplore le ministre de l’Economie.

Pour justifier son boycott, Paul Rechsteiner a ajouté deux éléments mercredi. Il craint que l’UE ne veuille également remettre en question le système de cautions que les entreprises étrangères doivent verser en prévision d’un litige judiciaire. Elle exigerait par ailleurs que la densité des contrôles, qui est d’environ 30%, ne dépasse pas 3%.

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Pourparlers jusqu'à la fin du mois

Que va-t-il se passer maintenant? Comme prévu, Johann Schneider-Ammann va poursuivre les pourparlers «avec tous ceux qui sont prêts à apporter leur contribution», en l’occurrence les cantons et les organisations patronales. Il ne désespère pas de ramener les syndicats autour de la table. Adrian Wüthrich se déclare d’ailleurs prêt à revenir, «par exemple pour une évaluation fondée concernant l’amélioration des mesures d’accompagnement comme pour une procédure d’annonce numérique moderne».

Johann Schneider-Ammann a pu finalement parler à Paul Rechsteiner mercredi et il espère toujours le convaincre de changer de position. La phase des pourparlers devrait durer jusqu’à la fin du mois. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il sera en état de dire au Conseil fédéral si une solution peut être trouvée, qui permettrait de faire avancer la conclusion d’un accord-cadre. Mais cette issue paraît très hypothétique.