Extraits d’un livre à paraître en 1929

Mme de Staël, la châtelaine de Coppet, et ses hôtes

«[Nous donnons ici un passage d’un petit ouvrage sur Mme de Staël au château de Coppet, qui paraîtra prochainement dans la «Collection vieille Suisse» des éditions Spes à Lausanne, avec des illustrations.]

La Révolution vaudoise avait supprimé les droits féodaux, rachetés aux seigneurs à la suite de laborieuses négociations où la dame de Coppet intervint, pour sa baronnie, avec à propos et précision. Mais elle n’avait pas aboli d’un coup les traditions, les habitudes. Aux droits seigneuriaux correspondaient des devoirs. Si le devoir s’efface, la bonté y supplée… Mme de Staël demeura pour les petites gens de Coppet la bonne dame du château. La mère Dancet, une vieille lavandière, racontait, longtemps après, combien «Madame la baronne» était bonne pour les pauvres. Elle leur faisait réserver tout ce qui sortait de la table, aimait à causer avec ceux qu’elle rencontrait. «La vie de Coppet était une vie de châteauSainte-Beuve, écrivant cette phrase, pensait aux entretiens du salon, à l’échange fécond des pensées, peut-être aux rendez-vous discrets du parc, aux explications tumultueuses dans le silence des soirs d’été. Mais un grand train de maison fait vivre beaucoup de gens, surtout si la maison est le château d’une femme de cœur.

Les bourgeois de Coppet, s’ils n’avaient pas affaire avec la châtelaine, la rencontraient au moins le dimanche à l’église, soit dans le temple de Coppet qui conserve des souvenirs des Necker et de leur fille, soit dans celui du village voisin de Commugny, dont le bourg de Coppet est l’annexe ecclésiastique. Mme de Staël entraînait au prêche ceux de ses hôtes qui voulaient lui plaire ou suivre son exemple. Elle invitait le ministre de la paroisse «aux splendides festins qu’elle donnait», pour reprendre les termes d’un mémorialiste [Benjamin Constant] qui s’exagérait peut-être le faste du château. Il est certain que la châtelaine, quand elle n’était entourée que de ses hôtes familiers, quelques Genevois, Vaudois, Français, les faisait parfois danser chez elle avec les «belles de Coppet». Sa vanité sociale, que Paris parfois lui reprochait, se tempérait de beaucoup de simplicité. Elle faisait peu de cas du luxe, du confort.

On voulait un jour, raconte Mme Necker-de Saussure [sa cousine] dans sa Notice sur [le caractère et les écrits de] Mme de Staël, lui faire honte de ce que sa chambre à Coppet n’était pas plafonnée, et de ce que l’on y voyait les poutres. «Voit-on les poutres? dit-elle: je n’y avais jamais pris garde. Permettez que cette année, où il y a tant de misérables, je ne me passe que les fantaisies dont je m’aperçois.»

Cette femme si simple se plaisait cependant à s’entourer d’hommes illustres et de femmes brillantes. Elle aimait la gloire d’autrui et ne redoutait pas la beauté… sur d’autres figures que la sienne. On connaît son amitié pour Mme Récamier. La belle Juliette, aux yeux de la postérité, est inséparable de l’éloquente Corinne [du roman Corinne ou l’Italie de Mme de Staël], comme la beauté s’unit à l’esprit dans l’idéal féminin. Il n’est pas de récit populaire, de tableau, de film, qui ne les fasse valoir par la vertu du contraste, rapprochant la petite tête de Mme Récamier, couronnée de cheveux bouclés, des amples turbans de foulard ou de cachemire bariolés dont Mme de Staël, à la fin de sa vie, recouvrait sa chevelure sombre. […] Si la plus jolie femme du Consulat et de l’Empire ne tint pas compagnie à la dame de Coppet aussi constamment qu’on se plaît à le croire, elle n’en séjourna pas moins plusieurs mois auprès [d’elle]. […] »

« Voit-on les poutres? dit-elle: je n’y avais jamais pris garde. Permettez que cette année, où il y a tant de misérables, je ne me passe que les fantaisies dont je m’aperçois »

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