Les constructeurs automobiles assurent les uns après les autres qu’ils vont décarboner leur parc de véhicules dans les quinze ans qui viennent. Auteur d’une étude sur la promotion des transports publics, l’ingénieur Philippe Gasser, membre de la direction et associé du bureau de conseil Citec, l’a rappelé lundi dans le cadre du forum annuel de l’Union suisse des transports (UTP): Toyota et Renault mettront sur le marché dix modèles de voitures électriques d’ici à 2025, VW ambitionne de vendre 50% de propulsions électriques en 2030 en Europe, le parc automobile d’Audi sera à 100% électrique en 2033. Selon le sociologue des transports Jörg Beckmann, qui pilote l’Académie de la mobilité du TCS, plus aucune nouvelle voiture mise en circulation ne fonctionnera avec un moteur à combustion d’ici à 2030.

La direction est donnée. Responsable de la communication d’AMAG, Dino Graf a annoncé lors d’une autre rencontre, organisée par Avenir Mobilité en septembre, que le groupe atteindrait la neutralité climatique d’ici à 2025 grâce au soutien financier de projets certifiés. Par ailleurs, AMAG va créer un fonds pour le climat qui sera doté de 10 millions ces cinq prochaines années.

«Le train a été décarboné il y a cent ans»

L’électrification du secteur automobile ne se limite pas aux voitures. Elle touche aussi les camions. Récemment, l’entreprise vaudoise Friderici Special a présenté un 40 tonnes entièrement électrique, équipé d’une batterie de cinq tonnes et demie, capable de circuler jusqu’à 500 kilomètres sans être rechargé.

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Lundi, devant les membres de l’UTP, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est réjouie de cette évolution: «Le train a été décarboné il y a cent ans. Ce changement commence à peine pour le trafic routier.» L’étude du bureau Citec note que les transports émettent 32,4% des émissions de CO2 en Suisse, un chiffre qui n’inclut pas l’aviation. Celles-ci ont augmenté de 3% entre 1990 et 2018 et il faut les réduire si l’on espère tenir les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris.

Dans cette perspective, les transports publics jouent un rôle d’aiguillon pour l’écologisation des transports en général. L’étude pilotée par Philippe Gasser le souligne: «Les objectifs climatiques auxquels la Suisse s’est engagée ne pourront être atteints qu’avec une mutation profonde de la mobilité des individus et la réduction drastique des déplacements carbonés. Les transports publics constituent l’une des réponses pragmatiques aux objectifs climatiques.»

Complémentarité ou concurrence?

Les CFF se sont engagés dans cette voie depuis un moment: dans son dernier rapport de gestion, le groupe ferroviaire note que 90% de ses besoins proviennent de l’énergie hydraulique et qu’il vise la neutralité carbone d’ici à 2030. CarPostal lui emboîte le pas: son patron, Christian Plüss, a fait savoir que la totalité de sa flotte – 2400 véhicules – sera électrifiée d’ici à 2040. «Notre entreprise consomme encore 20 millions de litres de diesel par an. Nous voulons changer cela. Mais je rappelle que les batteries coûtent plus cher que le diesel, qui bénéficie de subventions», souligne-t-il. Pour atteindre cet objectif, il faudra que les cantons et les communes, qui commandent les prestations et les financent, acceptent eux aussi de réaliser ce tournant, ajoute-t-il.

Les transports publics et l’électrification de la mobilité individuelle sont ainsi deux réponses complémentaires à la problématique du climat. Mais sont-elles compatibles entre elles? Ne risquent-elles pas d’une certaine manière de se cannibaliser? La question est délicate. «L’électromobilité est une concurrence pour les transports publics», admet Simonetta Sommaruga. Professeur à l’EPFL et responsable du Laboratoire de sociologue urbaine (Lasur), Vincent Kaufmann partage cet avis: selon lui, l’électrification de la mobilité risque de ralentir le transfert modal, c’est-à-dire le passage de la voiture individuelle au transport collectif ou au vélo. «L’électrification et les innovations ne suffiront jamais à atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Elles y contribueront à environ 45%. Les 55% restants ne pourront être atteints que si l’on réalise le transfert modal», affirme-t-il.

Or, les personnes qui achètent une voiture électrique ou privilégient le vélo peuvent avoir le sentiment d’apporter une contribution significative et suffisante à l’amélioration du climat. «La propulsion électrique produit moins de bruit et pèse moins sur l’environnement», relève Simonetta Sommaruga. Or, ces personnes seront peut-être moins enclines à se déplacer en bus ou en train. Un sondage du TCS révèle des chiffres intéressants à ce sujet: 41% des personnes interrogées misent en premier lieu sur les voitures électriques, 39% sur le vélo, 32% sur le vélo électrique, 27% sur les voitures hybrides et 35% «seulement» sur les transports publics. C’est un défi que les entreprises de transports en commun devront relever.

Approvisionnement suffisant?

Un autre obstacle s’érige sur la route de la décarbonation: l’approvisionnement en électricité. Sera-t-il suffisant pour réussir cette mue? Selon l’Académie de la mobilité du TCS, 6000 gigawattheures seraient nécessaires pour faire rouler le parc automobile électrique. A titre de comparaison, les centrales nucléaires suisses produisent entre 2500 et 8500 GWh chacune par an.

Il faudra donc disposer d’énergie en suffisance pour alimenter ce nouveau parc électrique. Or, parmi les scénarios du futur présentés récemment, l’un laisse planer la menace d’une pénurie. Dans une interview publiée dans le Tages-Anzeiger, Simonetta Sommaruga a minimisé ce risque. A la tête de CarPostal, Christian Plüss, lui, s’en préoccupe: «Nous nous posons bien sûr la question de savoir si l’électrification à 100% est réaliste. C’est pour cela que nous voulons produire nous-mêmes le courant dont nous avons besoin. Nous avons installé des panneaux solaires au-dessus de notre gare routière de Brugg (AG). Ils fournissent le courant nécessaire à nos bus. Nous poursuivrons dans cette voie ailleurs dans le pays», annonce-t-il.