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Les «mondes d’après» se multiplient

Les initiatives pour un retour aux affaires évitant ce qui est décrit comme des excès ayant plongé le monde dans la crise foisonnent

Des manifestants répondent à l’Appel du 4 mai en s’inscrivant dans un carré de 4 mètres, le lundi 4 mai 2020, à Lausanne. — © keystone-sda.ch
Des manifestants répondent à l’Appel du 4 mai en s’inscrivant dans un carré de 4 mètres, le lundi 4 mai 2020, à Lausanne. — © keystone-sda.ch

La déception est profonde, dans la voix de Gilles Cottet. Cet enseignant de La Croix-sur-Lutry fait partie des premiers signataires de l’Appel du 4 mai. Lundi, il s’est déplacé à Berne, avec d’autres promoteurs de cette action citoyenne qui pose six conditions pour «un redémarrage plus humaniste, local, durable». Leur but était de remettre une copie de leurs revendications aux autorités parlementaires. Pour des raisons sanitaires, la présidente du Conseil national n’est pas sortie de la halle de Bernexpo où se tient la session extraordinaire du parlement. Seuls deux élus se sont déplacés. Le «monde d’après» auquel les pétitionnaires aspirent a du retard à l’allumage.

«Il existe une nécessité absolue que les choses changent, comme le prouve le grand nombre de signatures récoltées en dix jours [plus de 58 000 mardi, ndlr], lance le Vaudois. Le problème est assez sérieux et se retrouver devant une porte close m’inquiète.» Les animateurs de cet appel lancé sur les réseaux numériques n’avaient «aucune velléité d’entrer dans la danse politique» en prenant la parole, assure l’enseignant.

© keystone-sda.ch
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Leur texte avait valeur d’interpellation aux politiciens. Le silence en retour rend l’enseignant perplexe: «Nous devons prendre le temps de la réflexion. Cet appel doit rester collectif, nous devons nous demander comment les gens peuvent se l’approprier.» Une piste: appuyer la diffusion du texte en Suisse alémanique, où il n’a pas rencontré d’écho.

«Peu de propositions concrètes»

Jean Rossiaud, député vert genevois, a signé non seulement cet appel mais également un autre demandant que les indépendants bénéficient d’assurances sociales. Cela ne l’empêche pas d’être critique vis-à-vis de ces initiatives qui ne comportent que «peu de propositions concrètes» et qui, envoyées aux partis, sortent de la voie citoyenne qui fait leur originalité. «Comme membre de la Commission des finances du Grand Conseil, et bien que, en tant qu’homme de gauche, ces initiatives aient toute ma sympathie, je ne peux m’empêcher de me demander comment elles seront financées, souligne-t-il. Le peuple va-t-il accepter des hausses d’impôts ou choisira-t-il d’endetter les entreprises et l’Etat sur les vingt à trente ans à venir?»

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Dans la bouche du député, la question est rhétorique. Il est en effet un des initiateurs du léman, cette monnaie fondée en 2015 et présentée comme une des solutions par un autre appel – un de plus – lancé par la Chambre de l’économie sociale et solidaire de Genève, la bien nommée Après-Ge. Ce «Manifeste pour un «new deal» écologique et solidaire» se distingue en ce qu’il est basé sur l’expérience d’entrepreneurs animés «par un sentiment d’urgence, voire d’impatience», résume Christophe Dunand, secrétaire de l’association. La sortie de crise, insistent les signataires, doit être l’occasion d’une transformation de la société afin que les activités pionnières développées au sein de la Chambre, deviennent centrales. «L’espoir existe déjà en actes, insiste René Longet, ancien élu socialiste et signataire du manifeste. Réanimer le monde d’avant serait une erreur fatale. Il faut lui appliquer le bon traitement.»

Remède durable

Ce remède doit s’inspirer d’organisations comme les Jardins de Cocagne, coopérative agricole de la campagne genevoise fondée il y a bientôt quarante ans. «Ses promoteurs ont longtemps été pris pour des fous alors qu’ils sont aujourd’hui l’exemple à suivre puisque l’entreprise est économiquement rentable et écologiquement durable», résume Christophe Dunand. Autre modèle mis en avant: les coopératives d’habitation comme la Codha à Genève. «Durant ce confinement, mieux valait habiter dans une coopérative que dans un HLM», résume Christophe Dunand, en référence aux espaces et aux jardins cultivés dont bénéficient bon nombre d’entre elles.

Au cœur du manifeste se trouve donc le léman, cette «monnaie locale complémentaire», développée depuis 2015 par un groupe de bénévoles. Eux aussi voient dans la sortie de crise l’opportunité d’une utilisation plus large que celle que pratique aujourd’hui une poignée de PME genevoises, lausannoises, veveysannes et françaises voisines. Via le manifeste, Jean Rossiaud sollicite les autorités cantonales et les Services industriels genevois afin que «l’Etat et les collectivités publiques acceptent les paiements en léman». Cette étape enclencherait un «cercle vertueux» puisque ce crédit mutualisé permet aux entreprises de se développer sans s’endetter, l’emprunt en léman se faisant sans terme ni intérêt.

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Pour échapper à la finance mondialisée et son «ultra-productivité» dont la crise aurait révélé l’action fragilisante sur nos écosystèmes, les auteurs du manifeste en appellent à un retour à l’échelle du quartier, vu comme «un facteur de résilience». Le lien entre les solutions mises en avant et ce pauvre pangolin qui serait l’hôte initial du virus qui a confiné la planète est parfois difficile à percevoir. «Notre discours n’est pas celui du quartier contre l’économie monde, rectifie Christophe Dunand. Nous sommes un réseau d’entrepreneurs et non de philosophes. Nous prenons position de manière très concrète. Nous avons développé un savoir-faire qui est à disposition. Nous voulons inciter les citoyens et les entrepreneurs à venir piocher dedans en leur montrant qu’il existe de bonnes pratiques à côté de chez eux.»