Mort in utero d'un bébé lors du renvoi d'une réfugiée syrienne: un douanier sur le banc des accusés
Justice
Un douanier est accusé d’être responsable de la mort du bébé que portait une réfugiée syrienne de 22 ans. Dans la nuit du 3 au 4 juillet 2014, il avait renvoyé celle-ci vers l’Italie, malgré les fortes douleurs dont elle se plaignait

Il y a près de trois ans et demi, le traitement d’une réfugiée syrienne, laissée sans assistance médicale alors qu’elle perdait son bébé à naître au cours de son refoulement vers l’Italie, avait sidéré la Suisse. Ce drame avait suscité des vagues de critiques, hors des frontières également, à l’égard de l’attitude du corps des gardes-frontières suisses. Il jetait une lumière crue sur les conditions de renvoi de réfugiés, dans un contexte de durcissement de l’asile.
Un accusé, trois scénarios
Depuis mercredi et jusqu’à vendredi, après trois ans d’enquête, un homme comparaît devant le Tribunal militaire, à Berne. Il est accusé d’être responsable de la fausse couche de Suha, ou, au minimum, de s’être accommodé de la possibilité que le bébé meure in utero. Dans le cas le plus grave, le prévenu est inculpé de meurtre. Deux scénarios alternatifs retiennent la tentative de meurtre et l’interruption de grossesse punissable. L’accusé doit aussi répondre de tentative de lésions corporelles graves, non-assistance à personne en danger, mise en danger de la vie d’autrui et non-respect des dispositions réglementaires prévues par la loi sur l’usage de la contrainte.
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 2014, cet homme, membre gradé du corps des gardes-frontières, est responsable du renvoi vers l’Italie d’un groupe de 36 Syriens arrêtés un peu plus tôt en France. Parmi eux, Suha, 22 ans, enceinte de sept mois, qui traversé la Méditerranée avec sa famille pour fuir Alep. Les gardes-frontières suisses suivent la procédure usuelle voulant que les clandestins soient renvoyés vers leur premier pays d’arrivée en Europe. Pour eux, c’est l’Italie.
Deux heures d’attente
Vers 11h45, le groupe est transféré de Vallorbe à Brigue, où il doit embarquer dans le train de 14h44 en direction de Domodossola. Mais le convoi est bondé. Le responsable des gardes-frontières décide alors de placer les Syriens dans le train suivant, qui doit partir deux heures plus tard. Durant tout ce temps, les douaniers resteront sourds aux appels à l’aide répétés de la famille de Suha, alors que la jeune femme est prise de violentes douleurs qu’elle décrit comme des contractions. Ce n’est qu’à son arrivée en Italie, après 17h, qu’elle sera emmenée à l’hôpital, où un médecin constatera la mort du fœtus.
Devant la cour mercredi, Suha, son mari et sa sœur se sont relayés pour témoigner de l’impassibilité des gardes-frontières. «Ils ne pouvaient pas ignorer que j’étais enceinte, cela se voyait», estime la jeune femme. Elle a aussi entendu sa sœur crier «baby, baby!» en direction des surveillants. «Je pleurais, je saignais. A deux reprises, ils sont venus et m’ont regardée, mais ils n’ont rien fait», raconté la Syrienne au bord des larmes.
Incompréhension de l’époux face à l’inaction des douaniers
Quant à son époux, Omar, c’est à peine s’il a reconnu le grand homme maigre au visage émacié qui se tient du côté des accusés ce mercredi. Il se souvient en revanche de la tache de sang sur le pantalon blanc de sa femme, des larmes de douleur et des pleurs de ses enfants. Il est revenu à la charge, «trois ou quatre fois», dit-il, pour réclamer un médecin ou une ambulance et ne comprend toujours pas pourquoi on ne l’a pas aidé.
«J’ai pensé qu’en Suisse, nous devions peut-être d’abord régler les frais pour les soins médicaux, alors j’ai dit: «nous avons de l’argent, je peux payer!». Lorsque le train arrive, Suha ne peut plus marcher seule. Omar et sa sœur la porteront jusque dans le wagon. L’époux avait déclaré à un douanier qu’il le «rendrait responsable s’il arrivait quoi que ce soit à sa femme ou à son enfant».
«Le bébé aurait eu 80% de chances de survie en cas d’intervention rapide»
Quinze douaniers accompagnaient le groupe de Syriens ce jour de juillet. Deux anciens collègues de l’accusé ont témoigné au premier jour du procès hier. Le premier, à qui Omar s’était adressé à deux reprises pour réclamer un médecin, estime n’avoir rien à se reprocher: «J’ai transmis l’information au chef, comme le prévoit la procédure. Je ne pouvais rien faire de plus». Quant au second douanier, il admet n’avoir pas bien saisi l’urgence de la situation.
Et si les douaniers avaient appelé les secours? Selon une expertise médicale, l’autopsie réalisée le 8 juillet 2014 montre que la mort du bébé a été causée par un manque d’oxygène, suite à un hématome rétro-placentaire qui a provoqué un décollement partiel du placenta. Selon le médecin responsable de l’expertise, dans un cas de complication tel que celui de Suha, un fœtus de 27 semaines aurait 80% de chances de survie en cas d’intervention rapide.
Statut juridique du fœtus
Toutefois, il est impossible de savoir avec certitude si l’enfant était encore en vie au moment de l’arrivée de la mère à Brigue, information cruciale pour déterminer si l’inculpation pour meurtre peut être retenue. L’autopsie situe le moment de la mort à moins de douze heures avant l’accouchement, soit entre 9 heures et 18 heures. Ce qui soulève une autre question vertigineuse à laquelle n’échappera pas la suite du procès: quand commence la vie, du point de vue juridique?