Accusé d’avoir ignoré la détresse d’une réfugiée syrienne enceinte, alors qu’elle perdait son bébé in utero au cours de son refoulement vers l’Italie, le garde-frontière est resté stoïque, à l’annonce du verdict prononcé par le tribunal militaire. Ce père de famille valaisan de 57 ans écope de 7 mois de prison et d’une peine pécuniaire de 60 jours à 150 francs, le tout avec un sursis de deux ans. Soit beaucoup moins que la sanction requise par l’accusation, qui réclamait 7 ans de prison pour homicide. Les juges n’ont pas retenu ce lourd chef d’accusation, estimant que la mort du bébé était survenue avant que la jeune femme n’arrive à Brigue, sous la responsabilité de l’accusé. 

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Le garde-frontière est reconnu coupable de tentative d’interruption de grossesse, de lésions corporelles par négligence et de multiples violations des prescriptions de service. A l’issue du procès, son avocat s’est déclaré satisfait: «Mon client n’est pas un meurtrier», a-t-il dit. Quant à Omar, père du bébé mort-né, il est «soulagé» qu’une condamnation ait eu lieu, même s’il s’attendait à davantage de sévérité. Aucune des parties n’exclut un appel à ce stade.

Le 4  juillet 2014, le garde-frontière, à la tête d’une équipe de 20 hommes, est responsable d’exécuter le renvoi vers l’Italie d’un groupe de 36 réfugiés syriens, arrêtés plus tôt à Frasne, alors qu’ils tentaient de rejoindre Paris en train depuis l’Italie. Parmi eux se trouve Suha, 22 ans, enceinte de 7 mois. Arrivés à Brigue, les gardes-frontière conduisent les réfugiés dans un local où ils doivent attendre le train de 14h44 censé les emmener à Domodossola.

Conscience du danger

Mais, faute de place dans ce convoi, les Syriens devront finalement attendre le départ suivant, deux heures plus tard. Pendant ce temps, Suha, qui a commencé à éprouver des douleurs au cours du trajet entre Vallorbe et Brigue, voit son état se détériorer.

A plusieurs reprises, son époux Omar et sa sœur tentent d’alerter les hommes en uniforme, en vain. Plusieurs gardes-frontière ont été en contact direct avec la famille syrienne, mais aucun d’entre eux n’a appelé les secours. Ils se sont contentés de retransmettre l’information au chef, qui n’a pas non plus jugé nécessaire d’agir.

«Si quelque chose arrive à ma femme ou à mon enfant, je vous en tiendrai pour personnellement responsable», avait lancé Omar à l’accusé, sur ce quai de gare. Le douanier avait alors répondu que le Syrien portait seul la responsabilité des risques encourus, puisqu’il avait décidé d’entreprendre un tel voyage avec une femme enceinte. Des propos qui démontrent, aux yeux des juges militaires, que le douanier avait conscience du danger.

«Il aurait suffi d’un appel»

Lors de son procès, il avait affirmé n’avoir pas perçu l’urgence de la situation. Il aurait dû se rendre lui-même auprès de la jeune femme pour dissiper tout malentendu sur son état de santé, a souligné le juge. Ce n’est qu’au moment d’apercevoir Suha sur le quai, portée par ses proches vers le train, que le douanier a eu conscience du problème, avait-il dit.

Il laisse la réfugiée monter dans le wagon et alerte les autorités italiennes de l’arrivée d’une femme enceinte en difficulté. Il aurait plutôt dû composer le numéro de «l’un des nombreux cabinets médicaux» de la région, a encore estimé le juge. «Il aurait suffi d’un appel.» A l’hôpital de Domodossola, les médecins italiens n’ont pu que constater la mort du bébé, causée par un manque d’oxygène, suite à un décollement partiel du placenta. 

Le drame vécu par Suha et sa famille avait suscité une onde de choc en 2014. Depuis, le corps des gardes-frontière s’est doté de nouvelles infrastructures: transport par car, chaises roulantes, civières, couvertures, jouets pour enfants, tables à langer. Mais, dans un communiqué envoyé hier suite au verdict, le syndicat des gardes-frontière pointe du doigt «le manque d’effectifs» dû aux mesures d’économies décidées par l’Assemblée fédérale. «Les tâches ne sont exécutées que dans le stress et sous une pression permanente».

Aujourd’hui, Suha vit en Allemagne avec ses quatre enfants, âgés de deux à neuf ans. Son époux Omar se trouve encore en Italie, où il travaille depuis cinq mois comme agent de sécurité. Mais il compte rejoindre sa famille dans quelques jours et espère pouvoir, là-bas, retrouver le métier d’enseignant qu’il exerçait en Syrie, avant de fuir la guerre. «J’espère que ce procès pourra contribuer à ce que l’on considère les migrants davantage comme des réfugiés en Suisse. Peut-être même comme des invités», dit-il.

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