La Question jurassienne n’est pas close, contrairement à ce qu’on avait pu croire le 18 juin 2017, lorsque le peuple de Moutier avait voté en faveur de son rattachement au canton du Jura à une petite majorité de 137 voix. Ce lundi, la préfète du Jura bernois, Stéphanie Niederhauser, a admis six des sept recours, suspendant ainsi le transfert de la capitale prévôtoise de Berne au Jura.

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Dans ses considérants, elle s’est basée sur la jurisprudence récente du Tribunal fédéral (TF), qui a considéré «de manière sévère les violations aux devoirs d’objectivité, de transparence et de proportionnalité» dans l’information que les autorités transmettent à leurs citoyens.

Cette décision est un séisme politique. Dans les deux cantons concernés, de même qu’à la Confédération, tout le monde partait du fait que, malgré les recours, ce vote serait validé: en novembre dernier, les trois parties ont même dissous l’Assemblée interjurassienne, cet organe créé en 1994 pour régler la Question jurassienne. Mais les perdants de la votation ont repris espoir cet été. Coup sur coup, le TF a sanctionné deux autorités communales. Il a d’abord annulé la votation de Peseux dans un cas de fusion de communes, estimant que les vainqueurs du scrutin, qui avaient tenu un stand devant le local de vote, avaient commis là de «graves irrégularités». Puis il a récidivé en invalidant une double votation sur un plan de quartier à Tolochenaz.

Pour le TF, l’autorité n’est pas tenue à un devoir de neutralité, mais elle doit respecter un devoir d’objectivité, «ce qui exclut des interventions excessives et disproportionnées s’apparentant à de la propagande propres à empêcher la formation de l’opinion». C’est ce que reproche la préfète, Stéphanie Niederhauser, au Conseil municipal de Moutier et en particulier à son maire, Marcel Winistoerfer. Selon elle, à plusieurs reprises, celui-ci a oublié sa fonction pour se comporter en militant.

L’école enrôlée

Dans un premier cas, la commune a envoyé, le 23 mai 2017, un courrier aux parents des enfants fréquentant l’école à journée continue en leur garantissant la pérennité de celle-ci en cas de oui. Or, le Jura ne connaît pas un régime semblable au canton de Berne, qui oblige ses communes à disposer d’une telle école de jour. La préfète en déduit que l’information adressée aux parents d’élèves «n’était pas objective et visait clairement à influencer une partie de l’électorat».

En refusant de transmettre ce registre à temps, le Conseil municipal de Moutier a rendu plus difficile, voire impossible, la surveillance du registre des électeurs

Stéphanie Niederhauser

Presque à la même date, Marcel Winistoerfer a adressé un message aux enseignants de l’école obligatoire de Moutier en les exhortant à déposer un oui dans les urnes, leur promettant cette fois que leurs conditions salariales et leurs retraites resteraient au même niveau que dans le canton de Berne. Pour sa défense, le maire a déclaré avoir agi à titre personnel, ajoutant qu’il était mu par le souci de rétablir la vérité face «aux affirmations fausses» des partisans du maintien de Moutier dans le canton de Berne, lesquels prétendaient que les enseignants prévôtois devraient surtout participer à la recapitalisation de la caisse de pension jurassienne. Ce n’est pas du tout l’avis de la préfète, qui critique le terme de «message­», impliquant une communication officielle. Ce n’était ainsi plus l’enseignant qui s’adressait à ses collègues, mais le maire qui parlait et qui, de plus, tenait des propos peu mesurés assimilables à de la propagande.

Tourisme électoral

Autre motif de l’annulation du scrutin: une tenue très aléatoire du registre communal, soulevant la question du «tourisme électoral», qui pourrait avoir faussé le scrutin. Certes, Stéphanie Niederhauser ne répond jamais à cette question de manière péremptoire. Mais elle souligne de «graves manquements». On le sait, les autorités prévôtoises ont très longtemps gardé secret leur registre électoral.

Or, en janvier 2017, le Conseil exécutif bernois avait arrêté les mesures particulières relatives à un scrutin qu’on savait crucial pour l’avenir de la région, habilitant sa chancellerie à intervenir si des irrégularités devaient être observées. Le 22 mai, celle-ci a demandé la liste nominative du registre électoral, que le Conseil municipal a refusé de lui transmettre. L’exécutif de Moutier s’est justifié en disant «qu’il n’avait pas suffisamment confiance pour transmettre des données dignes de protection et extrêmement sensibles vu le contexte politique». Mais il ne dit pas pourquoi il ne les a livrées à l’Office fédéral de la justice (OFJ) que le samedi 17 juin, soit avec quatre jours de retard. «En refusant de transmettre ce registre à temps, le Conseil municipal de Moutier a rendu plus difficile, voire impossible, la surveillance du registre des électeurs», tranche Stéphanie Niederhauser.

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La préfète note 44 cas problématiques relevant du tourisme électoral. Parmi eux, des domiciliations fictives d’habitants de 30 à 40 ans qui ont une adresse chez leurs parents et ne paient parfois pas d’impôts à Moutier, des personnes privées de capacité de discernement qui ont tout de même voté, d’autres qui ont quitté la commune avant le délai de clôture du registre, mais qui y figuraient encore le jour du scrutin.

Sommaruga défend ses services

Ce scrutin a beau avoir été le plus surveillé de l’histoire suisse, il n’en a pas moins été entaché d’irrégularités qui ont conduit à son invalidation. Le gouvernement jurassien ne comprend pas cette décision. «Si quelques maladresses des autorités de Moutier sont relevées, nous doutons fort que ce qui leur est reproché aujourd’hui ait pu modifier l’issue du vote. Les 88 pages de la décision ne le démontrent aucunement», a-t-il réagi.

Pour sa part, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a pris acte du jugement et a appelé au calme. Elle prend la défense de l’OFJ, qui devait assurer le bon déroulement du scrutin. «Les observateurs n’étaient pas chargés de surveiller la campagne ni de se prononcer sur les soupçons de domiciliations fictives», a-t-elle souligné.