L’initiative «Pour des multinationales responsables» est de retour. «Cela fait bientôt deux ans que nous nous occupons de ce projet», a souligné Stefan Engler (PDC/GR) en début de séance. A nouveau saisi du dossier, le Conseil des Etats se penchait ce mercredi sur une énième variante de la proposition initiale, qui propose la chose suivante: tenir les entreprises domiciliées en Suisse responsables du respect par leurs filiales des droits humains et standards environnementaux au risque de permettre aux victimes de saisir la justice helvétique. Vent debout contre le projet, la majorité bourgeoise des sénateurs a cependant opté pour ce que les initiants appellent «un contre-projet alibi». Le scrutin populaire n’a jamais été aussi vraisemblable.

L’histoire sans fin

En quoi consiste la variante acceptée ce mercredi? C’est le résultat d’une longue histoire. Depuis le dépôt de l’initiative en 2016, les initiants répètent qu’en cas de contre-projet convaincant, ils retireront leur texte. L’alternative ne sera pas venue du Conseil fédéral, qui a refusé la proposition d’entrée sans proposer d’autre option. Quid du parlement? Il piétine. En juin 2018, le Conseil national adoptait pourtant un contre-projet moins contraignant mais tout de même acceptable aux yeux des initiants concernant uniquement les grandes entreprises tout en limitant leur responsabilité civile à leurs filiales juridiques directes. Un retrait de l’initiative était en vue: las.

Après de multiples reports, non-entrée en matière et autre navette parlementaire, le Conseil des Etats n’acceptera jamais le projet, même dilué. Ce mercredi, les sénateurs ont finalement décidé de snober leur propre commission des affaires juridiques qui les enjoignaient – pour la deuxième fois – à entrer en matière sur le projet. Ils lui ont préféré une nouvelle variante homéopathique obligeant les entreprises de plus de 500 employés qui disposent d’un chiffre d’affaires d’au moins 40 millions de francs à rendre un simple rapport annuel détaillant leur politique dans le domaine des droits de l’homme. Et encore, la règle «comply or explain» (respecter la règle ou expliquer pourquoi ce n’est pas le cas) pourrait exonérer certaines d’entre elles. Les firmes actives dans le domaine des minerais et du travail infantile seraient également tenues à un devoir de diligence accru. Toute possibilité de recours juridique par les victimes en Suisse est écartée.

«Un contre-projet incisif»

La décision a été saluée par la ministre chargée du dossier, Karin Keller-Sutter, qui a toujours répété que «seules des solutions développées en concertation internationale pour ne pas nuire à la place économique suisse seraient acceptables». Frontalement opposée à toute mesure contraignante, la faîtière Economiesuisse s’est également félicitée de ce «contre-projet incisif». Il n’en est évidemment pas de même des initiants: «L’option choisie aujourd’hui ne permet certainement pas de retirer l’initiative», constate Chantal Peyer, porte-parole du comité. Si la communicante se refuse encore à confirmer la tenue inexorable d’un vote populaire, elle admet que ce dernier épisode en montre le chemin.

«Le projet voté aujourd’hui passe au Conseil national, mais il est peu probable que les discussions aboutissent à un compromis satisfaisant. Et si une autre possibilité est formulée par les nouveaux députés, elle reviendrait ensuite au Conseil des Etats, qui la refuserait probablement. Nous investissons désormais notre énergie dans la campagne de votation.» Avec plus de 300 comités locaux, le soutien d’un «comité bourgeois» formé de politiciens issus des rangs du PDC, PLR, PVL, PBD et de l’UDC ainsi que l’appui de 160 dirigeants d’entreprise, les initiants sont prêts à en découdre.

L’exemple Minder

C’est cependant aussi le cas des partisans du statu quo, visiblement persuadés de pouvoir l’emporter devant le peuple sans lui proposer d’alternative. Cette manière de procéder rappelle l’initiative Minder, «Contre les rémunérations abusives», nommée d’après le sénateur indépendant du même nom. Après trois ans de ping-pong entre les Chambres, le projet avait été présenté au peuple sans alternative. Celui-ci l’avait accepté à près de 68% des votants et l’ensemble des cantons.