Depuis quelques semaines, les membres du Conseil central islamique suisse (CCIS) font régulièrement la une des journaux. Surtout le président du CCIS, Nicolas Blancho, et le porte-parole, Abdel Azziz Qaasim Illi. Ils sont les invités d’Arena et d’Infrarouge. Ils suscitent la méfiance, voire l’hostilité. On les soupçonne de mentir, d’avoir des liens avec des groupes terroristes. La Confédération ne les veut pas comme partenaires de dialogue dans les discussions qui doivent avoir lieu avec les organisations musulmanes de Suisse. Ces dernières les rejettent. Certaines souhaitent même que le CCIS soit interdit. Des partis politiques profitent de l’aubaine pour se profiler sur un thème porteur. Bref, à peine né, le CCIS fait beaucoup de bruit. Sans doute à cause de son président controversé. C’est l’occasion de faire connaissance avec les autres membres de la direction de l’organisation (lire ci-dessous).

Faut-il avoir peur de ce groupuscule créé le 25 octobre 2009, qui compte à l’heure actuelle 34 membres actifs et environ 1000 membres passifs? Cette organisation présente-t-elle un danger? Est-elle surveillée par la police? Le Service de renseignement de la Confédération, rattaché au Département de la défense, de la protection de la population et des sports, reste évasif. «Nos bases légales nous permettent d’agir de manière préventive lorsque nous avons affaire à un extrémisme violent, dit Felix Endrich, chef de l’information. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas observé d’éléments violents dans les activités et les communications du CCIS. Il s’agit plutôt d’un extrémisme idéologique, qui ne relève pas de nos activités.»

Le CCIS a son siège à Berne et une mosquée à Bienne. La police cantonale l’a-t-elle à l’œil? «Ce type d’affaire est du ressort de la Confédération», affirme la porte-parole, Rose-Marie Comte. On n’en saura pas davantage.

Reste à se tourner vers des spécialistes de l’islam qui ont eu l’occasion d’observer l’organisation de près. Susanne Leuenberger prépare une thèse de doctorat à l’Université de Berne sur les conversions à l’islam en Suisse. Elle a participé à des manifestations organisées par le CCIS et elle a pu approcher ses membres. Elle est formelle: «Ce mouvement n’est pas dangereux. Il se rattache à un islam radical et rigoriste, mais il n’a pas d’agenda caché. Il compte environ 25% de convertis. La plupart des membres sont des jeunes musulmans qui ont grandi en Suisse. Ils sont en quête d’un islam adapté à la société suisse et détaché des traditions d’origine de leurs parents, qu’ils ne comprennent plus et dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus. Je ne vois aucun danger de création d’une société parallèle comme en France à l’heure actuelle. Car les membres du CCIS sont bien intégrés dans la société, ils ont un travail et ne s’isolent pas complètement du reste de la société.»

«Je ne crois pas que ce mouvement soit instrumentalisé de l’extérieur», poursuit la sociologue. Les deux leaders du CCIS, Nicolas Blancho et Qaasim Illi, étudient les sciences islamiques et affirment être entretenus par leurs parents. Selon Adisin Hodza, directeur des affaires financières du CCIS, le plus gros montant reçu à ce jour est un don de 500 francs. Zidane Meriboute, spécialiste des mouvements salafistes mondiaux, n’exclut cependant pas que ce mouvement soit soutenu par des hommes d’affaires saoudiens. «Le CCIS veut créer des madrasas (écoles islamiques), et il aura besoin de fonds à cette fin.»

Pour Zidane Meriboute, qui est aussi enseignant-chercheur à la School of Oriental and African Studies de Londres, le CCIS est «un épiphénomène du mouvement wahhabite circoncis à une minorité. Il ne va pas se développer d’une manière exponentielle. Ses dirigeants pratiquent un islam rigoriste, ils sont plus royalistes que le roi. Mais ils ne sont pas violents. Les membres sont intégrés dans la société suisse, ils cherchent le dialogue, ils se montrent. Cela prouve qu’ils sont inoffensifs. Il ne faut pas donner à ce mouvement plus d’importance qu’il n’en a. Mais si on l’exclut du dialogue, il risque de se radicaliser.»

Si Zidane Meriboute est convaincu que le CCIS n’a pas de liens avec les grands mouvements salafistes mondiaux, comme le Hizb ut-Tahrir, les Frères musulmans ou la Jama’at at-Tabligh, il reconnaît toutefois que son réseau reste opaque pour le moment. «Le CCIS devrait être plus transparent à cet égard», dit-il. «Nous n’avons aucun lien avec des mouvements étrangers, affirme Abdel Azziz Qaasim Illi, le porte-parole du CCIS. Nous sommes en contact uniquement avec des organisations de Suisse.» Cependant, Nicolas Blancho, le président très médiatisé du CCIS, refuse de donner le nom des mosquées avec lesquelles son organisation est liée, par crainte de «leur faire du tort». Il regrette le battage médiatique actuel, «qui vise moins à informer qu’à former une opinion négative sur le CCIS». Ce n’était pas vraiment l’objectif que cette organisation s’était fixé. A savoir, entre autres, «la diffusion active de connaissances sur l’islam sunnite en Suisse, dans le but de réduire les préjugés dans la population à l’encontre de l’islam», comme le précisent les statuts.

Qaasim Illi a étudié l’arabe un an en Egypte de 2005 à 2006. Depuis, il se rend régulièrement dans ce pays, pour y voir des amis. Zidane Meriboute le croit volontiers. «Les groupes radicaux sont très surveillés en Egypte. Il est difficile d’y développer des activités de nature terroriste.» Néanmoins, il juge inquiétant le lien que le CCIS entretient avec Pierre Vogel, un converti allemand qui prêche un islam radical. En décembre, la Confédération avait interdit à ce dernier d’entrer sur le territoire suisse. Il a tout de même pu participer en mars à un séminaire organisé à Disentis par le CCIS. Vogel est connu pour attirer les foules. Il affirme que les épouses musulmanes peuvent être frappées à titre de mesure éducative et disciplinaire. «Nous n’avons pas de liens avec Pierre Vogel, se défend Qaasim Illi. Il est difficile de trouver des prêcheurs compétents dans le monde germanophone, et nous l’avons invité à quelques reprises, mais il s’agissait surtout d’une question de marketing.»

Susanne Leuenberger n’est pas certaine que le CCIS collabore étroitement avec Pierre Vogel. «Nicolas Blancho et Qaasim Illi ont sans doute des affinités avec le prêcheur allemand, mais leur pensée, bien que basée sur un fond salafiste, présente des traits originaux. Ils ont une indépendance intellectuelle. Leur but est de créer un islam normatif adapté au contexte légal et politique de la Suisse.»

Cependant, «le risque que les membres entrent en conflit avec la société est assez grand, poursuit la sociologue. Le CCIS peut être comparé aux Eglises libres évangéliques de tendance fondamentaliste. Mais peu d’individus choisissent une telle manière de vivre sur la longue durée.» En effet, les sociologues observent généralement que le succès de ce type de mouvement repose souvent sur des leaders charismatiques et la ferveur que ceux-ci savent susciter. Ces bases sont cependant fragiles, et ces mouvements sont susceptibles d’éclater au bout de quelques années.

Enfin, Susanne Leuenberger constate que le CCIS n’est pas très homogène. Elle doute que l’organisation arrive un jour à fédérer la majorité des organisations musulmanes de Suisse. «Le mouvement est trop extrémiste et normatif pour ces dernières.»