Ils ont fini par sortir du bois… pour dire qu’ils resteront en marge du débat sur les minarets tout en condamnant l’initiative avec fermeté. Jeudi, les représentants de différentes organisations musulmanes se sont présentés devant les médias. Mais Farhad Af­shar, président de la Coordination des organisations islamiques de Suisse, a rapidement averti: «Nos organisations n’entrent pas dans le jeu des provocations des initiants; nous ne ferons pas de contre-campagne et n’aurons pas d’affiches.» L’initiative ne blesse d’ailleurs pas seulement les musulmans, insiste-t-il, «elle représente aussi un grand danger pour la réputation de la Suisse».

«Nous ne voulons pas servir de chair à canon aux populistes. Mais plaidons pour une discussion de fond», a rajouté Hisham Maizar, président de la Fédération faîtière des organisations islamiques de Suisse.

Femmes discriminées

Le ton se veut calme et posé, pour ne surtout pas jeter la moindre goutte d’huile sur le feu. Mais les critiques sont bien là. L’initiative lancée par une poignée d’UDC et d’UDF veut clairement priver les musulmans de leur liberté religieuse, dénonce Farhad Afshar. Elle viole ainsi des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale et le droit international non impératif. «La campagne est de plus particulièrement discriminatoire envers les femmes», ajoute-t-il. Il fait directement allusion aux affiches controversées du Comité d’Egerkingen montrant une femme en burqa intégrale devant sept minarets en forme de missiles.

Deux femmes étaient justement à ses côtés jeudi. L’une avec un foulard, l’autre sans. La première, Aynur Akalin-Ince, qui préside le Conseil d’un Institut pour la collaboration et le dialogue interculturels, parle du quotidien d’une famille musulmane en Suisse et des difficultés auxquelles elle doit parfois faire face. Elle évoque sans complexe la délicate question du port du voile et des dispenses pour les cours de natation en parlant de «pression psychique de l’école sur les enfants, qui ne peuvent pas vivre librement leur identité religieuse». Ce qui n’a pas manqué d’interpeller certains journalistes.

Aynur Akalin-Ince rappelle que 90% des musulmanes de Suisse viennent des Balkans et de Turquie et montre du doigt l’image de la femme en burqa sur l’affiche en insistant sur le fait qu’il n’y en a pas en Suisse. «Ou alors si peu.» «Cette image contribue à véhiculer une impression négative non fondée», dénonce-t-elle.

Islamophobie décomplexée

Rifa’at Lenzin ne porte, elle, pas de foulard. Et elle se bat avec énergie contre ceux qui dépeignent l’islam comme une religion qui discrimine les femmes. «Les exemples, pourtant rares, que l’on ressort en Suisse de mariages forcés, de crimes d’honneur et de mutilations génitales ne trouvent aucune justification ou racines dans l’islam», insiste-t-elle. Pour elle, l’initiative, en stigmatisant les musulmans à coups de préjugés et d’amalgames, menace sérieusement la paix religieuse.

Adel Mejri acquiesce. «Ces campagnes stigmatisantes remettent en cause l’appartenance de la communauté musulmane à la société suisse, sa bonne foi et la légitimité de sa présence», déplore le président de la Ligue des musulmans de Suisse. Son ton est moins posé. Il parle d’islamophobie «de plus en plus décomplexée». Et avertit: l’amplification des préjugés conduit au développement d’un mal-être croissant parmi les musulmans. Un mal-être «qui n’incite pas à l’intégration, mais favorise au contraire le repli des communautés sur elles-mêmes». Ce qui peut s’avérer dangereux.

Sur les quelque 370 000 musulmans qui vivent en Suisse, seuls 10% sont pratiquants. On les a jusqu’à présent peu entendus dans la campagne anti-minarets. Et ceux qui apparaissent dans les médias ne sont pas forcément les plus représentatifs. Difficile aussi de savoir si la majorité des musulmans s’identifient aux différentes organisations faîtières – fédération, coordination et ligue – qui se sont présentées jeudi. Et dont on peine à percevoir ce qui les distingue vraiment.

Pour mieux se faire connaître et tenter de balayer certains préjugés à trois semaines de la votation, les organisations musulmanes ont décidé de faire de samedi une journée particulière. Une journée portes ouvertes dans la plupart des mosquées.