Le Temps: Avec les partisans d'une agglomération à cinq, à sept ou à dix, ceux qui préféreraient une fusion, ou encore les opposants, les fronts sont encore multiples. Où en est-on?
Nicolas Deiss: Les trois commissions, où siègent les délégués des dix communes, travaillent en parallèle sur le projet. La commission des domaines d'activités est en train de rédiger son rapport final. Il va désormais être transmis à la commission financière et à la commission juridique. Puis le paquet sera présenté aux conseils communaux des différentes localités. Entre-temps, des séminaires de travail seront mis sur pied, afin de discuter toutes les questions sensibles. Il est capital que les statuts soient l'expression d'une volonté politique.
– Mais ne va-t-on pas vider l'agglomération de sa substance en faisant trop de concessions?
– C'est bien là toute la difficulté de l'exercice. Intégrer les critiques tout en conservant les éléments innovateurs, c'est l'équilibre à trouver. Construire une majorité n'est donc pas gagné d'avance. Avec la collaboration active des communes, avec un large processus de consultation et avec un programme d'information, nous possédons une triple soupape de sécurité. Les communes les plus sceptiques du début des travaux, notamment Guin, Tavel ou Marly, travaillent aujourd'hui activement aux opérations préparatoires en vue de la rédaction des statuts.
– Certains estiment que, sans un volet fiscal, l'agglomération sera une coquille vide…
– C'est l'un des éléments clés du débat. La loi prévoit un financement par un transfert de fonds des communes vers l'agglomération. Une clé de répartition permettra cette opération. Afin de donner toutes ses chances au projet devant le peuple, la compétence de lever un impôt n'a pas été accordée par le Grand Conseil. Reste que l'Assemblée constitutive a chargé la commission financière d'étudier cette possibilité. N'oublions pas que les domaines d'activités ne seront pas introduits en une fois, mais selon un calendrier échelonné.
– Mais l'agglomération est encore soumise à d'autres critiques…
– Bien sûr. Et il faut que le débat soit le plus large possible. Les «agglo-sceptiques» estiment qu'une collaboration à dix communes n'est pas le bon moyen pour renforcer le Grand Fribourg. Certains préféreraient un processus de fusion progressif, d'autres voudraient une agglomération à cinq partenaires. Enfin, la perte d'autonomie des communes réunit certains opposants. Les efforts pour faire capoter le projet sont donc bien réels. Et c'est à nous de démontrer que ces craintes sont infondées.
– Mais Fribourg a-t-il besoin de construire une agglomération?
– Qu'on le veuille ou non, les communes du Grand Fribourg ne peuvent plus faire cavalier seul. Sans tomber dans le catastrophisme, les Fribourgeois doivent réaliser que le risque d'une absorption par Berne ou par l'Arc lémanique est bien réel. Si nous n'arrivons pas à doter Fribourg d'un centre fort et de régions fortes, la satellisation est inéluctable. Des réformes territoriales drastiques sont donc impératives. De manière plus générale, c'est bien le fédéralisme suisse, avec ses structures rigides sur plusieurs niveaux, qui a atteint ses limites.
Mais je suis convaincu que Fribourg peut devenir un territoire concurrentiel et jouer les pionniers en devenant la première agglomération de Suisse. Objectif: se renforcer. Que l'on y parvienne par fusions ou par l'agglomération, peu m'importe. Il ne faut pas rater le train. Nous sommes à la porte de la Suisse des régions. Et 22 autres projets d'agglomération sont déjà lancés.
– Mais ne va-t-on pas bâtir le Grand Fribourg sur le dos du reste du canton?
– Avec l'agglomération, les clivages ville/campagne ou centre/périphérie ne doivent pas s'accentuer. Ce n'est donc pas seulement le noyau de la capitale qui doit se restructurer. L'ensemble des communes et des districts doivent réfléchir à leur avenir et se renforcer. Le canton doit travailler en réseau.
– Mais les fusions de communes ne jouent-elles pas un rôle moteur dans ce processus?
– La taille des communes est encore trop réduite, à Fribourg, malgré les progrès actuels. Pour affronter l'avenir, les communes suisses devraient atteindre les 5000 habitants par unité. La hausse annoncée des charges liées dans les domaines de la santé, du social ou de l'enseignement ne permettra pas aux plus petits d'affronter ces défis dans de bonnes conditions. Avec 180 communes pour 230 000 habitants dans le canton de Fribourg, une deuxième vague de fusions sera nécessaire.
– Avec le projet de nouvelle politique régionale (NPR), les territoires les plus éloignés des centres se sentent menacés. Ne risque-t-on pas d'aggraver leur situation en développant en priorité les agglomérations?
– Revoir la politique régionale est une nécessité. La NPR va provoquer une réaction des petites entités pour se développer et innover. Dans le domaine de l'agriculture notamment, certains ont cru qu'ils pourraient survivre sans entamer des réformes grâce aux aides de l'Etat. Dans le même ordre d'idée, avec des taux d'impôts attractifs et en bénéficiant des infrastructures créées par les centres, des petites communes ont pu exister sans qu'elles participent à l'effort public. Les charges des centres doivent être davantage prises en compte par les autres administrations mais également par l'Etat. Et les chiffres noirs de leurs comptes d'aujourd'hui ne sont que pures illusions face aux défis futurs.