Natasha Pittet se souviendra longtemps de ce lundi 5 décembre 2022. Dans la matinée, la municipale des Finances, Silvia Steidle, l’appelle pour lui annoncer qu’elle a convoqué la presse afin d’annoncer sa démission. Elle reproche à ses collègues du gouvernement biennois de ne plus gouverner. Coup de théâtre. La radicale siège à l’exécutif depuis treize ans et s’est fait un nom dans tout le pays en étant une des seules élues de droite à s’être opposée à la réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA). Avant son retrait, elle présidait d’ailleurs la Conférence des directeurs des finances des villes suisses.

A midi, ce jour-là, séance de crise des radicaux, Natasha Pittet est interpellée: est-elle candidate à la succession de Silvia Steidle? Une question légitime, elle avait terminé en deuxième position de la liste libérale-radicale lors des élections municipales de 2020.

«Vas-y, on se débrouillera»

Sa première réponse est non. «C’était en raison de mon travail. Je suis associée dans une agence de traduction et il était prévu que je reprenne, à terme, seule sa direction.» Ce jour-là, la codirectrice est absente et à son retour, deux jours plus tard, elle lui dit: «Vas-y, on se débrouillera.» Un encouragement pas si surprenant, il émane de l’ancienne présidente du PDC biennois.

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Prochaine étape, être adoubée par sa formation. Simple formalité. Puis, on entre dans une des spécificités biennoises. Comme l’élection à l’exécutif se déroule à la proportionnelle, c’est le parti de Silvia Steidle, le Parti radical romand (PRR), qui devait présenter une candidature. Si 3000 citoyens avaient contesté le choix de Natasha Pittet, le scrutin aurait été ouvert à tous. Mais personne ne s’est opposé à cette désignation. La Vaudoise d’origine entrera ainsi en fonction le 1er avril. Au jeu des chaises musicales, elle prendra la tête de la Direction de l’action sociale et de la sécurité, où elle succédera à l’UDC Beat Feurer, qui devient le nouveau grand argentier de la ville.

Comment a-t-elle vécu la démission de Silvia Steidle? «C’est très particulier de rejoindre un exécutif dans de telles circonstances, sans avertissement et alors que les prochaines élections auront lieu dans dix-huit mois déjà.» Elle n’a rien vu venir, mais elle n’en veut pas pour autant à sa prédécesseure: «C’est une force et non une faiblesse de partir ainsi, il faut avoir du courage pour dire: j’arrête.» Avec un sourire entendu, elle raconte qu’après la démission de la première ministre néo-zélandaise, elle a écrit à Silvia Steidle: «Tu n’es pas la seule à prendre ce genre de décisions.» L’ancienne directrice des Finances n’a d’ailleurs pas dit son dernier mot en politique. Elle briguera cet automne un siège au Conseil national.

Assise dans le lumineux bureau de sa petite entreprise de traduction, Natasha Pittet s’exprime avec franchise. Ses sentiments sont mélangés: joie, mais aussi appréhension. «J’ai du respect pour cette fonction, je suis consciente que ce ne sera pas évident. Je n’ai ainsi jamais géré de personnel. C’est un joli défi, à moins que je ne sois folle», rigole-t-elle. Aujourd’hui traductrice, elle est juriste et même docteure en droit. A l’Université de Lausanne, elle a ainsi été assistante du professeur de procédure civile Jean-François Poudret.

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Son intérêt pour la politique n’est pas nouveau. Lorsqu’elle vivait encore dans le canton de Vaud, elle avait adhéré au Parti libéral, mais, faute de temps, elle n’avait jamais brigué de mandat électif. «Je suis toujours plus libérale que radicale. Je me situe dans la lignée de Claude Ruey, qui a toujours insisté sur l’importance de s’occuper des personnes qui en ont le plus besoin comme les enfants ou les personnes âgées. Pour moi la responsabilité individuelle est plus importante que celle de l’Etat.»

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A la table familiale, avec son père pasteur, elle parlait surtout de politique internationale. «C’est passionnant, mais cela a peu d’effets.» Elle a donc opté pour la politique locale qu’elle voit comme la recherche du consensus, la volonté de changer la vie des gens et plus largement, d’améliorer la ville.

«Lire en marchant»

Bienne, elle s’y est installée avec sa famille en 1995. C’était pour dix mois, elle n’est jamais repartie: «Ici les gens se disent bonjour, l’ambiance est amicale.» Intégrée, puis engagée, d’abord dans une commission scolaire, puis au Conseil de ville dès 2012. Sur le plan professionnel, cette bilingue anglais-français s’est lancée dans la traduction, de textes juridiques, mais pas seulement. «Je traduis aussi des lettres de particuliers, comme celle d’un monsieur qui souhaitait correspondre avec son cousin en Australie.»

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Mère de quatre enfants adultes, craint-elle que sa vie change en devenant politicienne à plein-temps? Pas de grande peur, mais l’espoir de conserver du temps pour sa grande passion: la lecture. «Si je n’en ai plus assez, je ferai comme lorsque j’étais jeune et que je vivais à Lausanne, je lirai en marchant», rigole-t-elle. Joviale, elle ne cache pas une certaine impatience de rejoindre ses nouveaux collègues, dont la verte Lena Frank et l’autre Romande de l’exécutif biennois, la socialiste Glenda Gonzalez Bassi. «Bienne est fière d’avoir une municipalité à majorité féminine.» Elle jette un regard au loin: «Je me réjouis de découvrir de nouveaux domaines et de nouvelles personnes. Si l’on n’est pas curieux, où va-t-on?»

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Profil

1968 Naissance à Chesières (VD).

1989 Licence en droit à l’Université de Lausanne.

1995 Déménagement à Bienne.

1995 Naissance d’Alexandre, puis en 1997 de Philippe, en 2000 de Benjamin et en 2003 de Claire.

2012 Election au Conseil de ville de Bienne.


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