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Le National rejette l’initiative antiminarets

Le National recommande le non au texte lancé par la droite ultranationaliste, jugé «contraire aux droits de l’homme et menaçant la paix religieuse». La gauche a tenté, en vain, de l’invalider. Le peuple devra donc se prononcer

Sensible, le débat a donné lieu à de belles empoignades, mais son issue n’a pas réservé de surprises. Les minarets et les valeurs de l’islam ont occupé les conseillers nationaux durant plus de cinq heures. Avec, au final, un rejet très net de la Chambre du peuple: le National a décidé de recommander le rejet du texte qui veut inscrire l’interdiction de la construction de minarets dans la Constitution fédérale, par 129 voix contre 50 et 5 abstentions. Seul le groupe UDC et l’UDF Christian Waber (BE) ont soutenu l’initiative populaire lancée par le «Comité d’Egerkingen».

La majorité du camp rose-vert, Andreas Gross (PS/ZH) en tête, a tenté en vain de la faire invalider. Le Zurichois a critiqué le «poids insuffisant» donné à la notion de violation de droit international impératif, condition nécessaire pour qu’une initiative puisse être déclarée nulle. Mais il n’a pas été entendu: sa pro­position a été balayée par 128 voix contre 53.

«Les baïonnettes de l’islam»

Tout au long de l’après-midi, quarante orateurs se sont bousculés à la tribune, sous le regard de représentants musulmans dont Hisham Maizar, le président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS), et Adel Mejri, président de la Ligue des musulmans de Suisse.

Les partisans de l’initiative ont rappelé qu’ils considéraient le minaret comme un «emblème politico-religieux visible», un «symbole de puissance et l’expression d’une culture intolérante, qui place le droit islamique au-dessus du droit national». Ils craignent en fait surtout une «islamisation rampante de la Suisse» et ont souligné qu’ils ne cherchaient pas à s’en prendre à la liberté religieuse.

«Nous ne nous attaquons pas aux mosquées, ni aux écoles coraniques qui sont une nécessité pour la pratique religieuse. Nous nous attaquons ici à quelque chose qui n’est pas du tout nécessaire, qu’Erdogan, lui-même décrit comme «les baïonnettes de l’islam». Il y a donc quand même une intention un peu agressive dans ce symbole», a argumenté Oskar Freysinger (UDC/VS).

Face au camp UDC, les représentants des autres groupes, le Parti bourgeois-démocratique (PBD) y compris, ont tous mis en exergue les dangers que comporte le texte et souligné que son application serait difficile, car elle est «contraire à plusieurs principes fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale, menace la paix religieuse et viole des droits de l’homme garantis par le droit international».

Le Conseil fédéral l’avait clairement souligné le jour même du dépôt de l’initiative. Et Eveline Widmer-Schlumpf l’a encore rappelé mercredi. La ministre a aussi mis en garde contre le risque d’alimenter le fondamentalisme et d’attiser la haine religieuse.

Provoquer un repli

«En s’attaquant à la religion de quelqu’un, on finit immanquablement par provoquer un repli identitaire défensif», a souligné Hugues Hiltpold (PLR/GE). «Pour contrer la menace extrémiste, il ne faut pas interdire les minarets, mais assurer la transparence du financement des organisations religieuses. Et permettre aussi la formation des imams en Suisse au lieu de les importer.»

«Quand on s’en prend à une religion, on est prêt à les attaquer toutes», a déploré de son côté Jacques Neirynck (PDC/VD), après avoir dit être «sans doute le seul de l’assemblée» qui était, à l’âge de 11 ans, dans une classe où la Gestapo est venue chercher deux enfants juifs pour les conduire à la mort. Pour lui, «l’UDC cherche en fait à recruter des électeurs dans la frange antimusulmane de la population, à fédérer les inquiets, les mécontents, les aigris, les désadaptés de la société. C’est une manœuvre électoraliste d’une grande habileté, mais d’une déontologie douteuse», a-t-il ajouté. Il a clos son intervention en exprimant sa «répugnance profonde» d’avoir eu à participer à un tel débat «à la fois ridicule, odieux et dangereux».

De Gaulle s’invite

«Aucun musulman en Suisse n’a demandé que la charia soit placée au-dessus des lois suisses!» a insisté de son côté Antonio Hodgers (Verts/GE), qui officiait comme rapporteur de la commission. Ueli Leuenberger (GE), le président des Verts, a aussi cherché à couper court aux amalgames et imprécisions lancés par les partisans. «Je ne suis pas prêt à fournir l’essence aux incendiaires pour continuer de propager l’incendie de la haine, de la stigmatisation, de l’exclusion», a-t-il dit en militant pour l’invalidité du texte.

Hans Fehr (UDC/ZH) a aussitôt réagi. En citant de Gaulle. «De Gaulle a dit: je vis à Colombey-les-Deux-Eglises, avec les deux églises. Je ne veux pas avoir à me lever une fois à Colombey-les-Deux-Mosquées, avec les deux mosquées», a-t-il rétorqué à Ueli Leuenberger.

Le Conseil des Etats doit encore se positionner sur le texte. Et le dernier mot reviendra au peuple. A la fin de l’année, voire en septembre déjà. La campagne qui s’annonce risque bien d’être animée. Et de véhiculer un certain nombre de clichés sur ­l’islam.