Naturalisation facilitée: au moins douze cantons à convaincre
Votation
Pour qu’un oui à la naturalisation simplifiée des jeunes étrangers de 3e génération l’emporte le 12 février, la double majorité du peuple et des cantons est nécessaire. La campagne se concentre sur les «swing states», ces cantons qu’il semble possible de convertir, à l’image du Valais et de Zurich

A côté de la campagne sur la réforme de l’imposition des entreprises, celle sur la naturalisation facilitée des jeunes étrangers de 3e génération fait figure de parent pauvre. Tant en termes de moyens financiers à disposition des partisans d’un oui le 12 février prochain, que de forces vives à mobiliser au sein des partis pour convaincre les citoyens. Pour aller à l’essentiel, la campagne se concentre sur les cantons charnières, susceptibles, à l’image des «swing states» américains, de changer d’avis et de basculer vers le oui alors qu’ils avaient refusé de précédents objets visant à faciliter l’accès au passeport suisse. Zurich et le Valais font partie des cibles.
Pour être acceptée, la naturalisation simplifiée de ces jeunes nés et scolarisés en Suisse nécessite la double majorité. L’un des points de comparaison reste la votation du 26 septembre 2004, lorsque l’acquisition de la nationalité par les étrangers de la troisième génération avait été refusée par 51,6% des citoyens, ainsi que 14 cantons et 5 demi-cantons. Cette fois, si les partisans du oui jugent possible d’obtenir la majorité du peuple, celle des cantons demeure bien plus incertaine: il s’agit de convaincre au minimum six cantons de plus qu’en 2004, sans perdre des régions qui avaient dit oui du bout des lèvres, comme Berne.
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Les Romands paraissant acquis à la naturalisation facilitée pour les jeunes étrangers, c’est en Suisse alémanique que se livreront les plus féroces batailles. Avec une exception notable de ce côté-ci de la Sarine: le Valais, seul romand dans le camp du refus en 2004. Le conseiller national Mathias Reynard le confirme: son canton fait bien partie des «swing states» identifiés comme pouvant changer d’avis; la campagne y sera importante, menée à la fois par les partis et les syndicats.
Pas d’automatisme
La semaine prochaine, une conférence de presse unitaire rassemblera les parlementaires fédéraux Mathias Reynard pour le PS, Viola Amherd pour le PDC et Philippe Nantermod pour le PLR. «Nous devons vraiment faire passer ce message: on parle d’une troisième génération, donc de jeunes qui sont tout aussi suisses que nous, dont les grands-parents ont immigré ici. En Valais, ce sont beaucoup d’Italiens venus travailler dans la construction, l’agriculture et la viticulture ou le tourisme et l’hôtellerie. Pour autant, la naturalisation de ces jeunes ne sera pas automatique, il faudra la demander et il y aura des garde-fous.»
En Suisse alémanique, quelques cantons vont être particulièrement ciblés. Mais, selon les interlocuteurs, la liste des potentiels «swing states» varie. Soleure est souvent cité, peut-être parce que le conseiller national PLR Kurt Fluri, président de l’Union des villes suisses et maire de Soleure, se montre très engagé dans la campagne. Parmi les autres noms, Bâle-Campagne, Saint-Gall, les Grisons, Appenzell Rhodes-Extérieures et Schaffhouse reviennent souvent.
De même que Zoug, dont le responsable de la Direction de la sécurité, le PDC Beat Villiger, également vice-président de la Conférence des directeurs des départements de justice et police, appelle à voter oui. Celle par qui ce projet est arrivé, la conseillère nationale Ada Marra (PS/VD) juge également une conversion d’Obwald imaginable: «Lors de la procédure de consultation, qui constitue un autre indicateur, son gouvernement s’est déclaré favorable à la naturalisation facilitée.»
Mobilisation des diasporas
Mais c’est sur Zurich que repose un maximum d’espoirs, car ce canton avait repoussé la proposition de 2004 à 51,1% seulement. «Je pense que Zurich va voter oui», prédit la conseillère nationale Rosmarie Quadranti (PBD/ZH). «Les agglomérations, Zurich elle-même, mais aussi Winterthur, Dietikon, Uster ou Schlieren devraient accepter la naturalisation facilitée. Le problème se pose davantage dans les campagnes fortement influencées par l’UDC», estime Françoise Bassand.
Selon la vice-présidente du PS-Migrants Suisse, le résultat dépendra notamment de la participation des diasporas. De nombreux membres des communautés italienne, espagnole, portugaise, albanaise, turque ou tamoule, possèdent le passeport suisse, «mais votent très peu, sauf si on les mobilise en leur expliquant que le sujet va concerner leurs enfants et d’autres membres de leur famille. Nous avons donc rédigé des tracts dans une dizaine de langues et nous allons activer les réseaux sociaux», poursuit la socialiste. Une stratégie qui avait porté ses fruits en février 2016, lorsque l’initiative de l’UDC sur le «renvoi effectif des criminels étrangers» avait été rejetée.
La contre-offensive
Lundi dernier, l’affiche du comité contre la naturalisation facilitée, emmené par des élus UDC, a fait l’effet d’un électrochoc, provoquant un regain de mobilisation. Elle représente l’image stylisée d’une femme en burqa noire qui se veut inquiétante; reprise de la campagne contre les minarets, la silhouette sombre se déploie désormais dans les grandes gares du pays. La riposte est notamment venue d’Operation Libero, l’un des artisans du refus de l’initiative de l’UDC sur le «renvoi effectif des criminels étrangers».
Fakten statt Angstmacherei. Hilf gegen Verhöhnung unserer Mitbürgerinnen + Mitbürger anzukämpfen: https://t.co/bFhpXUE0jJ #JAzur3Generation pic.twitter.com/Ft4mHkl2Jl
— Operation Libero (@operationlibero) 10 janvier 2017
Ce mouvement qui se bat pour défendre une Suisse cosmopolite, libérale et moderne, a lancé sur les réseaux sociaux un appel aux dons pour pouvoir, lui aussi, imprimer une affiche et financer une campagne sur Facebook, Twitter comme dans les gares. Objectif: «Lever 100 000 francs», annonce Annina Fröhlich, codirectrice de la campagne sur la naturalisation facilitée.
«Nous voulons faire passer ce message: les jeunes dont on parle sont nés ici, ils sont comme vous, comme moi, comme nos voisins, ce sont des Suisses et cela n’a rien à voir avec la burqa». Membre active du comité inter-partis en faveur du oui, Ada Marra plaide également pour l’impression d’une affiche capable d’apporter un contrepoids à celle des opposants. Dans un cas comme dans l’autre, elles seront avant tout placardées dans les cantons clés.
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En Valais, le pensum administratif d’une Italienne de la troisième génération
Devenue majeure pendant le traitement de sa demande de naturalisation, une jeune femme née en Suisse s’est vu refuser le droit de cité qui a été accordé à son frère et à son père. La votation du 12 février pourrait lui permettre d’obtenir la nationalité suisse
Révolté et déçu, Pietro parle d’une voix calme: «Ma fille est catastrophée». Ebéniste proche de la cinquantaine, cet Italien qui a toujours vécu en Valais devrait bientôt devenir Suisse. Tout comme son fils de 13 ans, il bénéficie d’un préavis favorable de la commune de Montana. Elle a par contre refusé le droit de cité à sa fille Eva. Dans son courrier, le conseil municipal justifie sa décision par des lacunes qui concernent «la connaissance des aspects civiques, géographiques et généraux du pays d’accueil.»
Profil type des jeunes étrangers de la troisième génération
Eva incarne le profil type des 25 000 jeunes étrangers de la troisième génération qui pourraient bénéficier de la votation du 12 février prochain sur la naturalisation facilitée. Comme 58% d’entre eux, elle est italienne. Ses grands-parents ont quitté les Pouilles pour s’installer à Montana il y a plus de 50 ans et la famille n’a jamais quitté le Haut-Plateau. Née en 1998, Eva y a suivi toute sa scolarité obligatoire. Jusqu’à la réception d’une décision négative, elle pensait «être intégrée de facto». Pour son père, «elle est la Suisse même.»
Pietro a déposé son dossier en 2015 quand ses deux enfants étaient encore mineurs. Il a été auditionné durant 45 minutes par la commission communale de naturalisation en octobre dernier. Devenue majeure dans l’intervalle, Eva a été priée d’accompagner son père au dernier moment. Elle a trébuché sur des questions politiques. Le conseil municipal a décidé de suspendre sa demande «jusqu’à l’amélioration de vos connaissances générales de la Suisse et de son système politique.»
«Tout recommencer en partant de zéro»
Démoralisée, la jeune Italienne songe à abandonner les démarches. Sa situation est d’autant plus compliquée que Montana a fusionné avec les trois villages voisins au premier janvier. Pour obtenir un passeport suisse, elle devra désormais constituer un dossier individuel, et «tout recommencer en partant de zéro». Pour l’instant, Eva préfère attendre le vote du 12 février et ses potentielles conséquences sur sa situation personnelle.
Sollicitée ces derniers jours, l’ancienne administration n’a pas encore motivé sa décision dans le détail. Pour le président libéral-radical de la nouvelle commune de Crans-Montana, Nicolas Féraud, «c’est une histoire étonnante et ce dossier précis pourrait souffrir d’un vice de forme». Il insiste: «De mon expérience, les naturalisations concernent généralement tous les membres d’une même famille». Pietro, lui, bénéficie désormais du droit de cité communal. Pour obtenir la nationalité suisse, il devra encore convaincre la commission de naturalisation du parlement.
Xavier Lambiel