Les fauteuils ont tendance à grincer. La qualité de projection est souvent loin d'être irréprochable. Faute de moyens, les exploitants des salles de cinéma indépendantes bricolent et comptent sur une clientèle qui recherche une programmation sortant des sentiers battus. Ou plutôt ils comptaient. Car les petits cinémas ne semblent pour la plupart pas de taille à résister à la concurrence d'Europlex.

Quatre fermetures avant la fin de l'année

Vendredi, Vincent Esposito, patron de Procinémas SA (5% du marché genevois), annonçait la fermeture de ses salles Ciné 17, Art-Ciné, Forum et Camera Movie «avant la fin de l'année, probablement plus tôt».

Cette décision fait suite à la perte du navire amiral de Procinémas SA, le Hollywood, en plein centre-ville genevois, une salle datant de 1925. Comme l'a annoncé la Tribune de Genève, Procinémas SA a été condamné à évacuer les locaux, en raison d'un arriéré de 120000 francs dans le versement du loyer et des charges. Le cinéma fermera ses portes lundi prochain.

Sans grande salle, les distributeurs rechignent

«Le Hollywood était notre locomotive. Sans cette salle, les distributeurs ne nous fourniront pas les films qui alimentent aussi nos autres salles. Elles n'ont donc plus aucune chance de survie», explique Vincent Esposito, qui est dans le cinéma depuis quarante-cinq ans. Il en veut beaucoup à son propriétaire, mais aussi à l'empire Europlex-Pathé, dont la concurrence a sérieusement mis à mal le Hollywood. «Sous prétexte de libéralisme, dit-il, on a créé une situation de monopole qui ne laisse plus de choix aux spectateurs.»

Ces dernières années, plusieurs salles indépendantes ont fermé à Genève, notamment les Cosmos, l'Alhambra, le Manhattan et l'ABC. Mais il reste des cinémas offrant une programmation de grande qualité, comme les Scala, le Broadway, le Cinélux et le Nord-Sud.

Europlex saborde ses propres salles lausannoises

La situation s'est dégradée encore plus rapidement à Lausanne, qui ne compte plus que trois cinémas à écran unique. La disparition du Cine Qua Non début juillet a particulièrement ému les cinéphiles lausannois. Mais, à Lausanne, la restructuration du paysage cinématographique a aussi passé par un sabordage de nombreuses salles à écran unique, par la direction d'Europlex récemment fusionné avec Pathé, afin d'imposer les multisalles. Après le Bourg, le Lido, l'Eldorado, l'Athénée, le Romandie, le Palace et le Richemont, c'était début juin le tour de l'Atlantic et de ses 463 fauteuils, aujourd'hui inoccupés.

Pour prouver qu'il était possible d'inverser la tendance, Cinérive SA, qui exploite notamment le City Club à Pully, avait envisagé de reprendre l'exploitation de la salle, qu'Europlex était disposé à leur céder à vil prix. Coadministrateur de Cinérive, Yves Moser explique pourquoi le projet a été abandonné: «Nous avons approché des distributeurs, notamment au Festival de Cannes. Aucun d'entre eux n'était disposé à nous confier des films. Ils misent tous sur Pathé.»

«C'est le grand problème des salles indépendantes, continue-t-il. On ne nous offre que des films en bout de course. Bien sûr, nous nous spécialisons, nous prenons des films qui en principe ne passent pas ailleurs. Mais, parfois, nous nous trouvons en concurrence avec Europlex même sur ce marché, pour les films qui ont le plus de chances de faire de bonnes recettes. Nous sommes en bout de course. A Pully, nous ne pouvons poursuivre l'exploitation qu'avec l'aide de la commune.» Même situation à Carouge (GE) où le Bio ne pourra être sauvé qu'avec de l'argent public.

Salles réservées au cinéma d'art et essai

Directeur général de Pathé Suisse, Grégoire Schnegg affirme croire à l'existence de salles indépendantes à côté des salles multiplexe de son groupe «à condition qu'elles offrent une programmation différente, notamment dans le cinéma d'art et essai». Il jure que son groupe «ne bénéficie d'aucun avantage de la part des distributeurs. D'ailleurs, c'est interdit.»

La clef du succès, dit Grégoire Schnegg, c'est plutôt «une formule d'exploitation qui diminue les frais de personnel tout en offrant un grand choix». Les clients recherchent aussi l'animation qui règne dans les halls des complexes multisalles. Priver un ado de cet emballage en l'emmenant dans une salle traditionnelle, c'est presque lui gâcher le plaisir du film. Dans ces conditions, comment remonter la pente?