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«Il ne faut pas surinterpréter le oui»

Pour le politologue Michael Hermann, codirecteur du grou­pe de recherche Sotomo à l’Université de Zurich, le résultat est symbolique et ne vise même pas les musulmans de Suisse.

Pour le politologue Michael Hermann, codirecteur du grou­pe de recherche Sotomo à l’Université de Zurich, le résultat est symbolique et ne vise même pas les musulmans de Suisse.

Le Temps: Comment interprétez-vous ce oui si net?

Michael Hermann: L’initiative a reçu un soutien bien plus large que celui des milieux proches de l’UDC traditionnellement opposés aux étrangers. Je peux m’imaginer que des femmes, qui associent l’islam au port du voile, à la charia et à l’oppression des femmes en général, ont voté pour l’initiative. C’est un combat symbolique qui a eu lieu, car le minaret est un symbole. Les conséquences ne sont finalement pas si grandes, mais les peurs et les doutes les plus divers ont fait surface.

– La peur de l’islam est-elle encore déterminée par le 11 septembre?

– Les attentats jouent encore un rôle, mais ce n’est plus si actuel. Tout s’est mêlé: la peur du terrorisme, d’un choc politique des civilisations, la peur de perdre son identité.

Les migrations et la globalisation sont perçues comme un danger pour l’identité traditionnelle suisse. L’islam est le symbole le plus adapté pour rendre visible cette menace. Ce n’étaient même pas les musulmans de Suisse qui étaient visés. Beaucoup d’entre eux, les gens du Kosovo par exemple, ne sont pas très religieux.

– La campagne des adversaires de l’initiative a-t-elle été trop molle?

– La discussion a été bien menée. L’expérience montre que même une campagne plus véhémente n’aurait rien changé au résultat. Au contraire, cela aurait pu inciter les gens à voter pour l’initiative, par défi. C’est un thème classique où les élites – les partis, l’économie, les médias – ont un autre avis que la majorité de la population. Avec un résultat si net, c’était manifestement perdu depuis le début. Le résultat est comparable à celui de l’initiative sur l’internement, une grande majorité des partis et les spécialistes y étaient opposés.

– Les élites ont été discréditées. Ont-elles encore un rôle à jouer?

– Nous avons une situation particulière en Suisse à cause de la démocratie directe. Dans d’autres pays, les élites peuvent éviter certaines discussions. En Suisse, elles n’ont pas ce pouvoir. Elles doivent apprendre à prendre les gens au sérieux, cela demande beaucoup de travail dans l’ombre. Le processus lancé par l’initiative n’est pas terminé, il faut que cela continue. Mais les musulmans aussi ont leur part à faire pour être acceptés. Il ne faut toutefois pas surinterpréter le résultat. Il serait faux que les musulmans concluent qu’ils ne sont pas acceptés dans le pays. Ils ont aussi reçu beaucoup de soutien de la part précisément des élites.

– Le parlement aurait-il dû déclarer l’initiative non valable?

– La tradition suisse veut que l’on soit relativement large sur ce point. Il n’y a pas de cour constitutionnelle, et nous sommes habitués à ce qu’il y ait des choses contradictoires dans la Constitution. Je trouve juste de ne pas avoir bloqué d’emblée le texte de l’initiative.

– L’UDC semble surprise et dépassée par son succès, même si officiellement elle n’a pas lancé l’initiative.

– Christoph Blocher a effectivement dit qu’il trouvait l’initiative mauvaise. L’enthousiasme dans le parti n’était pas si énorme. Cela montre que l’UDC entre-temps fait aussi partie de l’élite politique.

– Les sondages précédant le vote se sont lourdement trompés sur le résultat. Pourquoi?

– C’est un cas classique pour illustrer le principe de la conformité sociale. Les gens ne disent pas ce qu’ils pensent, parce que c’est moralement mal vu de dire oui. On n’avait plus vu cela en Suisse ces dernières années. Presque tous les sondages sur les consultations touchant aux étrangers étaient plus précis, ces thèmes ont acquis une légitimité.